Un jour avant Pâques de Zoyâ Pirzâd

Par Sylvie

IRAN

Editions Zulma, 2008

Zoyâ Pirzäd est une arménienne d'Iran née en 1952. Avec déjà trois récits à son actif (dont deux récits de nouvelles centrés sur la femme iranienne), elle décrit admirablement la poésie du quotidien et du temps qui passe.
Dans son dernier opus, à travers trois épisodes de la vie d'Edmond, une personnalité très sensible, elle décrit le quotidien et les traditions de la communauté arménienne d'Iran et ses relations avec la communauté musulmane.
Ce court roman (126 pages) est composé de trois chapitres qui s'attachent à trois moments de la vie d'Edmond dans un village puis à Téhéran : son enfance entre l'école et le cimetière avec sa meilleure amie Tahereh, fille du concierge musulman de l'école. L'âge mur, centré sur le mariage de sa fille avec un "non arménien") puis la vieillesse, lorsque veuf, il cherche à renouer avec sa fille. Les deux derniers chapitres font alterner passé et présent, souvenirs nostalgiques de l'enfance, retour au village d'enfance où l'école et les boutiques tombent en décrépitude.

A chaque moment de vie, est associé un souvenir précis, lié à un élément naturel : l'enfance, c'est la confiture de griottes qu'Edmond devait apporter au directeur de l'école. L'âge mur, ce sont les coquillages qu'il avait ramassés étant enfant et qu'il redonne à la mer, la vieillesse, ce sont les massifs de pensées blanches que plantait Marta, sa femme.
Ces souvenirs très précis donnent une coloration très poétique à ce récit : Edmond est d'une sensibilité à fleur de peau ; enfant, il a peur du cimetière, il recueille les coccinelles, il collectionne les coquillages. L'écriture regorge de détails sensitifs très précis qui convoquent tous les sens.
A chaque période de vie, est également associée une figure féminine : la meilleure amie musulmane de l'enfance qui l'aide à avoir moins peur, la fille, figure téméraire bravant les traditions et au crépuscule de la vie, le souvenir de la femme défunte et le soutien de l'amie de toujours. Même si ce titre est centré sur une personnage masculin, nous avons l'impression d'être dans un véritable gynécée ; la figure du père est relativement absente, c'est elle qui punit, qui se moque lors de ses rares apparitions. Au contraire, les femmes aiment, aident et forment. La mère bien sûr, caline et fantasque, la tante, la marchande de limonade...
Il s'agit bien sûr d'une ode à la famille élargie (grands mères, tantes et oncles etc...), l'une des valeurs fondamentales de la communauté arménienne. Cet univers romanesque a une dimension ethnologique lorsque le récit regorge de termes persans et arméniens (un glossaire est présent à la fin ); Pirzäd décrit les fêtes religieuses, l'empreinte de la religion dans la vie quotidienne et notamment les fêtes pascales, avec la tradition des oeufs peints et cassés.
Elle focalise également l'attention sur les dissentions entre les communautés arménienne et musulmane d'Iran ; ainsi l'amitié avec Tahereh est juste tolérée et on apprendra plus tard qu'une femme arménienne a dû fuir sa famille pour avoir voulu épouser un musulman.
Un magnifique roman par l'étoile montante de la littérature iranienne, pour tous les lecteurs qui apprécient la poésie du quotidien et des souvenirs.