Mensonges d'État

Par Rob Gordon
On a parfois du mal à comprendre comment une équipe d'artistes chevronnés peut manquer à ce point d'exigence et de discernement. Sans être totalement scandaleux, Mensonges d'état fera tout de même office d'incident de parcours dans les filmographies de messieurs Scott, Di Caprio et Crowe. Le genre de film que personne ne pensera à citer quand, dans dix ans, il jouera à "donne-moi le plus grand nombre de films de ou avec machin" - un jeu très amusant pour s'occuper dans le métro, par exemple. Scénarisé par William Monahan, le type derrière Kingdom of heaven et Les infiltrés, Mensonges d'état multipie les tares puisqu'il est à la fois platissime et bourré d'invraisemblances. Deux défauts insurmontables mais dont la simultanéité n'est pas forcément désagréable, puisqu'on peut facilement tuer l'ennui en comptabilisant les aberrations scénaristiques.
On ne peut blâmer Ridley Scott d'avoir voulu faire un film sur le terrorisme qui ne ressemble pas à du Paul Greengrass. Problème : en prenant le contrepied total, il livre une oeuvre grabataire dans laquelle les personnages sont les seuls à voyager. Ils filent de pays en pays, slaloment entre le Proche-Orient et les USA, mais font finalement du surplace. C'est qu'il ne se passe pas grand chose pendant ces 2h08 : quelques explosions filmées de façon très ordinaires, beaucoup de dialogues un peu creux sur la manipulation et la condition des terroristes, et c'est à peu près tout. Il faut dire qu'on n'a guère envie de suivre les personnages dans leur quête, puisque leur manque de crédibilité est total. Dans un film dit réaliste, on ne peut faire gober au spectateur le fait que deux types dont un jeunot soient capables de réguler à eux seuls l'ordre mondial. C'est pourtant ce qu'essaie de montrer Ridley Scott, qui montre un agent de la CIA (Di Caprio, moyen) tellement fortiche qu'il prend toutes les décisions importantes sans demander l'avis d'un quelconque supérieur, et monter de grandes opérations anti-terroristes avec pour tout partenaire un semi-nerd planqué derrière son écran. Dans un James Bond, pourquoi pas ; ici, c'est totalement improbable. Surtout quand le surhomme en question se montre soudain assez stupide pour fricoter avec une infirmière locale sans se méfier ou se jeter naïvement dans les griffes des pires salauds du coin.
Le personnage de Russell Crowe est moins calamiteux mais pas beaucoup mieux ficelé, et c'est certainement pour cette raison que Monahan en a fait un pince sans rire absolu, débitant deux vannes à la minute sans avoir l'air d'y toucher. Quelques-unes de ses répliques touchent juste. Mais est-ce bien là l'ambition d'un tel film ? Sans doute pas. Au final, il est bien difficile de saisir les motivations de ce Mensonges d'état sans doute conçu comme un grand film politique avec du spectacle et une vraie thèse. Si thèse il y a, elle est d'un simplisme assez atroce (en gros, la loi du talion a toujours existé et existera toujours, c'est la vie), et c'est peut-être même pire que ça. On préfère faire semblant de ne pas comprendre quand, en toute fin de film, Di Caprio balance l'air de rien une réplique faisant du Proche Orient un gigantesque capharnaüm impossible à nettoyer. Quoi qu'il en soit, Mensonges d'état est un film à oublier bien vite, qui mérite son semi-four au box-office américain.
3/10