Anthologie permanente : Alfredo Gangotena

Par Florence Trocmé

Promenade sur le toit

                                                       A M. Jules Supervielle

C’est le pignon du toit,
orgue de tuiles,
tréteau d’étoiles,
le faux-fuyant du somnambule.
Sur la cheminée
l’oiseau agite ses ailes
valves de mes soupirs.
Je vous ai vu,
faute de sable,
éparpiller l’écume
dans l’étang du ciel.
Je prends le bourdon
et, image du périscope,
franchis la lucarne.
Du fond de l’âme, scandé, jaillit,
jet de siphon,
le mouvement.
L’index de l’homme
pousse les minutes
qui empêchent de progresser.
Sur l’air intérieur,
que mes poumons distillent,
l’œil navigue à l’aventure.
Dans l’orbite le cœur déborde :
je penche du côté droit.
mais l’axe de mon désir coïncide
avec le fil à plomb.
Au bord de ton sol ondulé,
île stérile
- que baigne un fleuve de bitume -,
je déroule la toise de ma mort.
Si la lune ne tombe, et ne m’éveille,
comme une carafe d’eau froide :
me donnerez-vous la pousse d’oignon
pour que dans l’ombre mes yeux jaillissent ?
Ah ! faites au moins que mon poème finisse
avant que j’arrive au bout du toit !

Salle d’attente

                                                       À Pierre Morhange

La tête se détache de son blanc bocal.
Je me ronge les ongles, Seigneur,
Et par le trou de la serrure contemple Votre Magnificence!
Les murs s’oublient dans leur silence omniprésent.
En gerbes d’argent,
Comme les aqueducs romains,
Y flamboient les stigmates de Vos mains.
Poumons que la nuit déchire en son soupir ?
Les vents allongent les corridors.
Crochues s’élancent les mille sorcières
Où la ciguë prépare son élixir :
Alambic et source de ma mort.
Trop sombre,
Hâtive la dame s’éloigne
Sur les rails de son regard.
O cordes, ô harpes de Salomon :
Le dossier des chaises est mon diapason !
Le jour gambade sur la prairie ;
Entasse ses vitres aux fentes du cabanon.
Ah ! que me raye plutôt
Le sourd diamant de l’eau-de-vie !
Les oiseaux viennent se délecter.
Rivières,
Films sans fin de la vallée.
Désirant la colombe migratrice
Qui traîne l’élastique de l’horizon
Etais-je Anne sur le noyer ?
J’expédie mes tristesses par la voie lyrique.
Ivrogne !
Où enfoncerai-je le poinçon
De mes regards en tire-bouchon ?
Et ces cris, ces hoquets ;
Est-ce l’esprit malin qui joue au bilboquet ?
Comme glace ma parole
Dans la bouche brûle et fond.
Les clous, les scies de ma couronne ;
Et la salive qui m’empoisonne !
Faute de Vos rayons, ô Saint-Esprit,
J’ouvre mon cœur saignant
Aux dynamos des vers luisants.
Renforcez le débit sombre de mon râle,
Bouches magiques de l’eau régale !
Moulins et masses du tourbillon
Broyez la meule dessous mon front.
La flamme en cercle nous tend son piège ;
Ah ! dans mon désespoir que n’ai-je
La rude vaillance du scorpion !
Si dans les flaques,
Prunelles du chemin,
Sombrent les dernières colonnes de la journée :
Le métallique fracas des persiennes abat
Les paupières fantasques du dément.
Ah ! pourtant donnez-moi
La minute d’éveil qui me sauvera !

Alfredo Gangotena, Poèmes français, Editions de la Différence, Collection « Orphée », 1991, pp.27 et 51.

Contribution d’Alexander Dickow

Note bio-bibliographique d’Alfredo Gangotena

Lire aussi la note de lecture de Caramboles d’Alexander Dickow

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