Allo Québec? Ici Paris! (entretien avec un écrivain : François Magin)

Par A_girl_from_earth

Ahem...
Il y a peu, je découvrais La Belle et le Hautbois d'Armand de François Magin, un roman-film au rayon littérature québécoise qui m'a enthousiasmée par son originalité et son humour.
Surprise et peur bleue quand l'auteur me laisse un petit mot suite à mon commentaire sur son ouvrage! (les auteurs vous guettent amis lecteurs!!!)
C'est le début d'un échange sympathique qui m'amène à la découverte de son dernier roman paru, Da Monopoli Code, et alors que j'apprends qu'il va clore là sa carrière d'écrivain, je lui propose une entrevue via email pour consigner cette aventure dans les archives de la grande toile.
L'entretien qui suit est publié avec son accord et est suivi de sa bibliographie.
A noter que La Belle et le Hautbois d'Armand est disponible en France.
(merci encore à François Magin d'avoir joué le jeu, et à Géraldine pour m'avoir inspirée ;))
 

GFE : Le lieu habituel pour une interview digne de ce nom est généralement une pièce dans un palace parisien, une terrasse cannoise, un salon sobrement décoré, ou chic et sophistiqué, où seraient disposés deux fauteuils en face à face...
Là je suis dans ma chambre dans le sud-ouest (parisien), derrière mon écran, une tasse de thé vert industriel à portée de main, Maomao (le chat) planqué près du radiateur (il fait froid).
Et vous?

FM : J'adore les chats ! Non, c'était pas la question. Moi, je suis assis à mon bureau, dans la banlieue est de Québec, devant mon écran. Je n'ai malheureusement pas de chat à portée de la main, mais j'ai un tas de dicos (avec plein de « t » dedans) planqués près du radiateur, lequel fonctionne à fond, car il fait -1° ce matin. Derrière moi, un mur de livres sur l'art et les voyages. Pas de littérature ? Elle est rangée ailleurs, dans une autre pièce. À ma gauche, une fenêtre sur cour. Vue sur des arbres multicolores (il y a quelques jours, c'était l'été indien, et il ne dure pas longtemps, cet été-là, car il ne reste plus beaucoup d'Indiens.) Pour moi, l'automne est synonyme de mélancolie, de nostalgie…. Mais je m'égare, comme dirait le chef de train.
 

GFE : Je nous imagine cependant en fin d'après-midi, température idéale, sur une île, allongés sur des transats, la mer nous faisant face, tongs aux pieds. Et vous?


FM : Je nous imagine dans un palace parisien… Non, trop commun ! Nous nous sommes plutôt donné rendez-vous au Louvre, dans la salle C de l'Égypte copte, celle du monastère de Baouit. C'est mon petit coin de prédilection. Lieu envoûtant, magique et, surtout, havre de paix dans le musée (quelle que soit l'heure, y a jamais personne). Nous allons donc supposer que la salle est ouverte (en fait, elle est actuellement fermée pour travaux) et que, vu que vous travaillez pour un magazine people à gros tirage et que je suis une vedette internationale (y a pas de limite à l'imagination, pas vrai ?), le Louvre nous a autorisés à apporter des transats, des tongs et autres accessoires. Nous sommes assis dans la reconstitution de l'église. Il ne manque que le sable et le soleil…


TA-DAAAM! Voici donc le lieu de notre entretien! (les transats sont au fond à droite)



GFE : Je sirote un cocktail de fruits exotiques sans alcool. Vous prendriez bien une boisson?

FM : Pour moi, ce sera plutôt comme pour les pensionnaires du Père-Lachaise : un ver de bière…


GFE : Maintenant que nous sommes détendus, passons aux choses sérieuses (je farfouille dans mon sac – panique – je ne retrouve pas mon questionnaire sur lequel j'ai passé des nuits sans sommeil).
Euh... (zut zut zut, j'avais pourtant préparé une série de questions d'enfer dignes des meilleurs profilers) (sourire désarmant à l'attention de l'auteur afin qu'il ne se rende compte de rien)

(à quoi pense-t-il précisément à cet instant?)


FM : Étant moi-même toujours embarrassé en présence d'autrui, j'éprouve une sympathie sans bornes pour les gens qui le sont. Comme, en plus, vous m'avez désarmé avec votre sourire, j'ai l'impression d'être James Bond sans son gros flingue. Je tourne donc mon regard vers l'architecture de l'église pour ne pas vous indisposer davantage et j'attends que vous ayez retrouvé vos questions…

GFE : Je vous ai découvert grâce à La Belle et le Hautbois d'Armand, un conte de fées sans les fées, un roman-film hautement original qui m'a vraiment enthousiasmée. Comment est né ce roman?


FM : Il était une fois… un écrivain qui avait fait une première carrière entre 1976 et 1984
 - carrière qu'il a abandonné pour gagner sa croûte et assouvir sa passion pour l'art ancien et les voyages. Au début du XXIe siècle, après plusieurs années d'insomnie, de fatigue chronique - le tout couronné par un infarctus -, cet écrivain s'est dit que les voyages achevaient peut-être et qu'il faudrait remplacer cette passion par autre chose. D'où l'idée de revenir à l'écriture. Le mariage entre conte de fées, roman et cinéma alla de soi, quand on sait que cet auteur adore les contes (c'est son côté « fleur bleue ») et qu'il a dû voir 7 000 ou 8 000 films depuis son enfance. Eh là ! V'là que j'cause à la troisième personne, comme si j'étais un ponte, alors que je ne suis qu'un ponté (autrement dit, un ponte avec un accent).


GFE : J'ai eu le plaisir également de lire votre dernier livre, Da Monopoli Code. D'où vous vient ce goût pour la parodie et êtes-vous aussi facétieux dans la vie que le laisse entendre l'humour dans vos écrits?


FM : Yvon Deschamps, le plus grand humoriste québécois, s'est déjà déclaré pessimiste (voire dépressif) de nature. C'est aussi mon cas. Si je me souviens bien de mes lectures freudiennes, l'humour, c'est un moyen que prend le moi pour atténuer la pression du surmoi. Or, mon surmoi à moi (avec lequel je ne suis pas à tu et à toi, car je le vouvoie) est plutôt rigide (because mes géniteurs). L'humour aurait donc été pour moi un truc pour faire rigoler mes parents et, du coup, me faire aimer d'eux. Comme ma mère est décédée bien avant que je ne commence à publier et que mon père n'a jamais été un de mes fans, la stratégie n'a pas vraiment fonctionné. Heureusement, il y a eu les plus de 10 000 personnes qui ont acheté les quatre aventures de Papartchu Dropaôtt, les quelques milliers qui ont acheté les deux aventures de Jos Bine et les quelques centaines qui se sont procuré mes deux derniers romans.


GFE : Vous avez écrit par le passé sous le nom de Papartchu Dropaôtt, Quel nom étrange...?


FM : Étrange comme les années 1970 et les trips que nous faisions avec tout ce qui nous tombait sous la main. Le patronyme Papartchu est né lors d'un de ces trips. Je possédais à l'époque un magnétophone et j'enregistrais mes divagations. Comme j'étudiais en linguistique et traduction à l'université, mes « séances » se déroulaient souvent sur fond d'étymologie et de sémantique. L'expression québécoise « par chez nous » (fréquemment déformée en par chu nous), qui signifie « dans notre patelin (ou notre région) » a ainsi acquis, dans mon délire (homme très mince que j'étais), le sens de « proximité », tandis que pas par chu, devenait synonyme d'« ailleurs ». Quant à « Dropaôtt », il s'agit de la transcription phonétique du mot anglais dropout, qui signifie « marginal ». Le détective privé Papartchu Dropaôtt était donc, en quelque sorte, un « marginal venu d'ailleurs ».


GFE : J'avoue qu'avant de tomber sur votre Belle, je farfouillais en fait dans le rayon littérature québécoise à la recherche de romans qui, je pensais, allaient forcément illustrer d'une manière ou d'une autre la culture québécoise. Quel préjugé de ma part... Vos histoires ne se déroulent jamais au Québec et n'évoquent rien de particulièrement québécois, du moins pour les deux romans que j'ai lus – votre pays ne vous inspire pas?


FM : Les six romans que j'ai publiés entre 1976 et 1980 avaient pour cadre le Québec et les personnages étaient on ne peut plus québécois (avec sacres et tout le folklore dont raffolent les cousins français). Quant à ma Belle et le hautbois d'Armand et à Da Monopoli Code, je ne pouvais les situer ailleurs qu'en France. Je ne serai pas très original en disant que l'écrivain ne choisit ni ses lieux ni ses personnages
 - ce sont eux qui s'imposent à lui -, mais c'est comme ça. La Belle et le hautbois d'Armand constituait le premier volet d'une trilogie « française » : le roman se déroule à Paris et en Provence, tandis que les deux autres volets - Le Non Moins Fabuleux Destin de Melpomène Meynard et Le Petit Garçon qui voulait rencontrer Dieu - auraient eu pour cadre Paris et la région de Lyon, respectivement.


GFE :Vous semblez, tout comme moi, aimer les voyages. J'ai eu un véritable coup de coeur pour Montréal cette année à l'occasion d'un court séjour. Les gens sont tellement sympathiques et semblent jouir d'une qualité de vie que les Parisiens ont tout à envier.


Votre pays ou ville coup de coeur?


FM : J'adore voyager, mais je n'ai pas visité plein d'endroits dans le monde. Je m'intéresse avant tout aux vieilles pierres et à l'art ancien. Je suis allé très souvent aux États-Unis, mais surtout pour voir ce qui évoque l'Europe. Sur le Vieux Continent, je connais un peu le Portugal, l'Autriche, la Suisse, la Belgique et la Hollande, assez bien le nord et le centre de l'Italie, et plutôt bien la France (sans doute plus, même, que beaucoup de Français). Pays coup de cœur : entre la France et l'Italie mon cœur balance. Ville coup de cœur : Paris, Rome, Venise, pour leur inépuisable beauté (plutôt banal, non ?)

Il y aussi des lieux qui m'ont particulièrement fait vibrer : la salle où nous nous trouvons au Louvre; le palais des Papes à Avignon durant l'hiver, quand l'affluence est réduite et que le faible éclairage crée une magie incomparable; Bellevue Avenue à Newport (Rhode Island) en décembre, quand les magnifiques demeures des riches New-Yorkais, inspirées de l'Europe, sont décorées pour les Fêtes; Lourdes où, malgré tout le flafla commercial, on sent, comme disait mon père, « qu'il s'est passé là quelque chose »; la partie « World Showcase » d'Epcot Center (parc thématique de Disney World à Orlando, Floride) et, plus particulièrement, le pavillon de la France, où l'on peut voir un très beau docu sur votre pays - lequel film donne une irrépressible envie de prendre le premier avion pour Paris; la villa Vizcaya à Miami, petit bijou d'inspiration italienne; Sirmione, au bord du lac de Garde. Et j'en passe…

GFE : En tant que lectrice, je recherche dans les livres, entre autres, du divertissement, de l'humour, la possibilité d'élargir mon horizon culturel, l'opportunité de me cultiver, et être éblouie par l'imagination de l'auteur.

Et vous, en tant qu'écrivain, que recherchez-vous ou que trouvez-vous dans l'écriture? Pour qui écrivez-vous?

FM : Ce que je cherche dans l'écriture ? Me surprendre moi-même (quand je fais une trouvaille), me faire rigoler (quand il me vient un bon gag), avoir ce plaisir toujours renouvelé (comme l'enfant qui construit un truc avec des blocs Lego) de réussir à pondre cent cinquante pages racontant une histoire qui se tient debout. Pour qui écris-je ? « Pour toi, public », comme dirait Frank Dubosc.


GFE : Vous allez tirer votre révérence en novembre en laissant vos romans en héritage à vos lecteurs. Comment aimeriez-vous que l'on se souvienne de vous?


FM : Molière aurait voulu être reconnu comme tragédien. Moi, j'aurais aimé écrire des chefs-d'œuvre comme Zola, Balzac, Hugo, etc. J'ai fait avec ce que j'avais : un talent moyen (chez nous, on dit « un petit couteau »). J'aimerais bien qu'on se souvienne de moi, mais sera-ce le cas ? (oups ! j'ai oublié de prendre mon antidépresseur, ce matin !) J'aimerais bien l'épitaphe suivante : « Dans la Symphonie cacophonique de Youman Van Being, le petit couac qu'on entend à la fin du dernier mouvement, c'est lui ! »


GFE : Une petite anecdote ou votre meilleur souvenir dans votre carrière d'écrivain?


FM : Le meilleur souvenir que je garderai, ce sont les lettres que j'ai reçues durant ma « première » carrière. À l'époque, il n'y avait pas d'Internet ni de courriel. Les gens prenaient encore la plume pour écrire aux auteurs. Je conserve ainsi plusieurs lettres de gens qui me disent que mes romans (à l'époque, les Aventures de Papartchu Dropaôtt) ont ensoleillé leur vie. J'ai même reçu un courrier d'un détenu inculpé de tentative de meurtre et qui avait adoré un de mes bouquins. Pour le remercier, je lui ai fait parvenir les trois aventures qui n'étaient pas disponibles à la bibliothèque de la prison. La lettre qu'il m'a envoyée après réception du colis est sans doute la chose qui m'a le plus touchée dans ma carrière.


GFE : Pour finir, je m'adresse maintenant au lecteur qui, j'imagine, existe derrière tout auteur. Je suis fascinée par l'univers de Haruki Murakami, il m'est impossible de désigner mon livre préféré, en ce moment je lis des Bds sur l'univers des malentendants et je ne programme pas trop mes lectures, agissant beaucoup par impulsion.


Votre auteur préféré? Votre livre préféré? Que lisez-vous en ce moment? Quelle est votre prochaine lecture? Et qui trouve-t-on dans votre bibliothèque?


FM : Je n'ai pas vraiment d'auteur préféré. Pendant très longtemps, j'ai été un fan fini de Baudelaire. Mon livre préféré ? Peut-être Les Lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet (et la lecture incomparable qu'en fait Fernandel). Ma prochaine lecture ? Je reprendrai peut-être À la recherche du temps perdu, que j'ai lu il y a trente ans et relu en partie récemment. Ou encore, la correspondance de Madame de Sévigné. (Pas très moderne, le mec !) Dans ma bibliothèque, il y a une centaine de volumes de La Pléiade, légués par mon père et que j'espère avoir le temps de lire (ou de relire) avant ma mort.

Œuvres de François Magin
(le pseudonyme utilisé est indiqué entre parenthèses)

Polars humoristiques


L'histoire louche de la cuiller à potage
(Papartchu Dropaôtt), Montréal, Éditions Quinze, 1976, 140 pages.

Du pain et des œufs
(Papartchu Dropaôtt), Montréal, Éditions Quinze, 1977, 148 pages.

Salut Bonhomme ! (Papartchu Dropaôtt), Montréal, Éditions Quinze, 1978, 198 pages.

Les Noires Tactiques du Révérend Dum (Papartchu Dropaôtt), Montréal, Éditions Québecor, 1980, 175 pages.

Les Taxis volants, une aventure de Jos Bine (F.-M. Gérin-Lajoie), Montréal, Desclez Éditeur, 159 pages.

Pas de chocolat pour tante Laura, une aventure de Jos Bine (F.-M. Gérin-Lajoie), Montréal, Desclez Éditeur, 160 pages.

Poécits (poèmes-récits)

Viens prendre un ver(s) (Papartchu Alfraède), Paris, Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1977, 64 pages.

Brise la glace, Narcisse (F.-M. Gérin-Lajoie), Paris, Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1980, 65 pages.

Je tue il (F.-M. Gérin-Lajoie), Sherbrooke, Éditions Naaman, 1984, 58 pages.

Romans récents

La Belle et le hautbois d'Armand (François Magin), Éditions Hurtubise, Montréal, 2007, 112 pages.

Da Monopoli Code (D. Hoaxer, traduit par François Magin), Éditions De Mortagne, Boucherville, 189 pages.