L'intelligence intuitive

Publié le 06 novembre 2008 par Jérémy Dumont

On ne peut parler aujourd'hui des qualités requises pour diriger une entreprise sans

prendre en compte l'avènement de la globalisation et la crise actuelle qui bouscule l'ordre

économique mondial. L'un des faits les plus marquants de la mondialisation de

l'économie est peut-être que les entreprises n'ont jamais eu autant d'impact sur la société.

Certaines entreprises comme Microsoft, Apple ou Google façonnent nos cultures.

D'autres transforment nos sociétés, comme ces institutions de micro crédit qui ont un

impact majeur sur les pays émergents. D'autres encore influencent les habitudes de

consommation de milliards d'individus, comme Procter & Gamble, L'Oréal ou Carrefour

auprès des consommateurs de leurs produits à l'échelle planétaire.

Devant l'état critique du monde, on ne peut s'empêcher de ressentir l'obligation de

repenser les aspects les plus fondamentaux du fonctionnement de nos entreprises et en

particulier des modes de leadership. Les circonstances économiques ont rarement été

aussi pressantes et à la fois propices à une réflexion de fond sur les qualités d'un dirigeant

d'entreprise.

Crédit photo Rip Hopkins

Le dirigeant est perçu en premier lieu comme dépendant d'une logique de marchés

financiers _ une sorte de loi suprême ; il est à la tête d'une organisation économique. De

ce fait, on attend du dirigeant qu'il soit à la fois visionnaire et pragmatique pour anticiper

les attentes et besoins des consommateurs et des marchés et servir au mieux la logique

économique de son entreprise.

Cependant, la crise financière, agricole, pétrolière et environnementale à laquelle nous

devons faire face de façon urgente ne nous permet plus de penser l'entreprise uniquement

selon cette logique économique. Cette dernière nous mène à une impasse et notre marge

de manoeuvre semble plus étroite chaque jour. Comme toute crise, on peut la considérer

avant tout comme une opportunité. Le leadership peut être redéfini pour permettre des

solutions créatives où la dimension économique de l'entreprise reprend sa juste place. Le

temps de s'adapter par nécessité aux contraintes sociales et environnementales pour

permettre plus de croissance est révolu. Nous sommes maintenant obligés d'adhérer à nos

nouvelles obligations. Nous devons évoluer, grandir et devenir responsables : certaines

réparations économiques, sociales et écologiques s'imposent. D'aucuns diront qu'il s'agit

d'une utopie. Mais peut-on jamais apporter une transformation fondamentale sans utopie,

dans sa phase de conception tout au moins ?

D'autres nous rappelleront que certaines entreprises ont prouvé qu'utopie et efficacité

économique ne sont pas antinomiques, loin s'en faut. L'exemple le plus éloquent est celui

de Google. Les deux fondateurs étaient encore des « teenagers » quand ils ont conçu l'un

des projets les plus révolutionnaires de notre époque. Ils ont suivi leur inspiration. Ils ont

rêvé une utopie et continuent de rêver l'impossible. Ce n'est pas un projet seulement

économique qui les motive mais bel et bien un projet de civilisation. Qu'il s'agisse de leur

introduction en Bourse, de leur stratégie de ressources humaines, ou de leur projet

d'éradiquer les maladies génétiques, ils semblent chaque fois défier la loi de la gravité

économique pour toujours mieux y exceller. Il s'agit de la plus grande réussite financière

de l'histoire du capitalisme et l'une des entreprises les plus à même de fournir les outils

nécessaires pour permettre à notre monde d'évoluer.

Développement vertueux _D'autres entreprises dans des secteurs traditionnels ont

démontré la possibilité d'un modèle de développement vertueux. À l'échelle européenne,

Danone est parvenu à associer les vertus les plus porteuses de la société civile avec un

développement économique rentable et en forte croissance. L'un des plus grands succès

de Franck Riboud a été de permettre à son groupe et donc à ses équipes de moins

ressentir la pression sur les marges exercée quotidiennement par la grande distribution.

En une dizaine d'années, Danone a su se développer sur des territoires géographiques

nouveaux et concevoir des produits moins sensibles à la pression des prix. Il faut un

certain courage et une pensée ingénieuse pour concevoir et mener de telles stratégies et

modèles de développement. L'intelligence intuitivtive est précieuse en la matière ; elle se

définit comme la combinaison singulière de quatre aptitudes :

la capacité à penser de façon holistique afin de dépasser la pensée traditionnelle

fragmentée qui tend à réduire l'entreprise à une entité essentiellement économique ;

la capacité à penser de façon paradoxale, en particulier, ne pas opposer raison à instinct,

mais bien au contraire, à en comprendre la complémentarité ;

la capacité à observer et être à l'écoute de nos sens pour enrichir le processus analytique

de nos perceptions subtiles, c'est-à-dire au-delà des apparences ;

la capacité à diriger par influence et non par imposition suivant l'idée que nous sommes

en relation avec un monde en évolution permanente et que notre relation avec le monde

est elle-même essentiellement évolutive.

Lors de la semaine Visions of Leadership, organisée chaque année sur le campus HEC

(1), de grands dirigeants parmi lesquels Jean Paul Agon (L'Oréal), Phil Bentley (British

Gas), Daniel Bernard (Provestis, ex Carrefour), Isabelle Capron (Fauchon), Henri de

Castries (AXA), Jean René Fourtou (Vivendi), Georgia Garinois (Johnson et Johnson),

Cyrille Vigneron (Cartier France) ou le Général Georgelin sont chacun venus parler à

différents moments de leur expérience de leader. Tous ont souligné l'importance cruciale

de leur intuition et de leur instinct dans leur succès. L'intelligence intuitive se cultive et se

développe. Elle est enseignée aux étudiants du MBA HEC de façon expérientielle à partir

d'un corpus théorique s'appuyant sur les dernières recherches en science des organisations

et sciences cognitives. Une méthode de management a été également conçue pour la

mettre à l'oeuvre dans l'entreprise, pour penser le leadership de façon innovante et

responsable et concevoir des modèles de développement vertueux au sein de la

complexité du monde économique global.

Pour être opérante, cette approche doit s'accompagner d'une qualité fondamentale chez le

leader : le caractère. Il s'agit de la qualité nécessaire pour parvenir à renoncer aux

habitudes et satisfactions immédiates et inventer d'autres modes de croissance présentant

tout autant de bénéfices économiques à terme sans induire les inconvénients que nous

connaissons à nos modes de développement actuels. C'est vraisemblablement pourquoi le

MBA HEC a été conçu comme un « MBA that builds character ».

Ecrit par : Francis Cholle, membre de courts circuits

Posté par : Sophie Demol

En lien avec : Rapport d'innovation Courts circuits, "La socio performance"

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