Olivier SMOLDERS

Publié le 19 mai 2007 par Cinématographe
Biographie
Né le 04/01/56 à Léopoldville, licencié en Philologie Romane (UCL),
diplômé en réalisation, puis professeur à l'INSAS, fondateur des Productions du Sablier (Bruxelles), des Films du Scarabée (Liège) et d'Ab Irato Films (Paris), producteur, scénariste et réalisateur de courts métrages
Filmographie
Neuvaine, film pour amuser les chaises, 1984, 30', N&B;, 16mm.
L'Art d'aimer, film dramatique en couleurs, 1985, 15', couleur, 16mm.
Adoration, film anonyme, 1987, 15', N&B;, 35mm.
Point de fuite, film pédagogique, 1987, 10', couleur, 35mm, d'après une nouvelle de Marcel Mariën.
Seuls, portraits d'enfants en institution psychiatrique, 1989, 12', N&B;, 35mm
La Philosophie dans le boudoir, 1991, 14' & Ravissements, 1991, 7', diptyque mettant en miroir deux "textes-limites" N&B;, 35mm : fragments de D-A-F de Sade / fragments de Sainte Thérèse d'Avila
Pensées et visions d'une tête coupée, film pour Antoine Wiertz, 1991, 26', couleur/N&B;, 35mm, portrait d'un peintre imaginaire à partir de la vie et de l'oeuvre d'A.Wiertz
L'Amateur, film en forme de poire, 1996, 26', N&B;, 35mm, Dolby Stéréo
Voir articles dans le magazine Cinergie : Tournage et Critique
Mort à Vignole, film solitaire, 1998, 25', N&B; + coul TV, 35mm, Dolby
Voir article dans le magazine Cinergie
Prix
Ces films ont reçu une trentaine de prix et mentions dans des manifestations internationales notamment à Clermont-Ferrand, Bruxelles, Namur, Tampere, Turin, Evry, Lille, Lorquin, Aix-en-Provence, Villeurbane, Sfax et Bombay. Différentes rétrospectives ont été organisées à l'initiative d'organismes publics ou privés, notamment à la Cinémathèque d'Amsterdam, à Rotterdam et Utrecht (Hollande), à Gratz (Autriche), à Anvers, Liège et Bruxelles (Belgique), à Nancy, Poitiers et Paris (France).
Publications
Olivier Smolders est l'auteur de différents livres touchant le domaine de la littérature et du cinéma :
Cinéma parlant, dictionnaire d'idées-reçues sur le cinéma, éditions du Daily-Bul, 1988.
Eloge de la pornographie, "où l'on comprend enfin pourquoi le cinéma pornographique est un genre charmant, sympathique, parfaitement délicieux", collection "De parti pris", éd.Yellow Now, 1993.
Fontanelle, conte fantastique illustré de dessins et d'eaux-fortes originales de Michel Smolders, co-édition Le Scarabée/Yellow Now, 1994.
Paul Nougé (à l'école de la ruse, Écriture et Caractère), essai biographique, collection "Archives du Futur", Editions Labor.
14 adages d'Erasme, d'après le manuscrit du professeur Cantarel, à la lumière de quatorze eaux-fortes originales, Les Éditions du Scarabée à la Maison d'Érasme, 1997.
Eraserhead de David Lynch, éd. Yellow Now, 1998.
Auteur de courts métrages, Olivier Smolders poursuit une démarche dont la rigueur intellectuelle, le questionnement et le goût affiché pour une provocation cathartique lui confèrent une autorité singulière parmi les cinéastes de sa génération. Au cours de ses études à l'INSAS, il trouve dans l'enseignement d'Edmond Bernhard la source d'un certain nombre de postulats qui fondent son oeuvre : le principe de contradiction, la condensation des images et des sons, l'orgueil et l'effacement du créateur. Le fréquentation des surréalistes (Marcel Mariën et Paul Nougé notamment) fournit également à Olivier Smolders une matière fantasmatique qu'il exploitera, par exemple, dans Point de Fuite, d'après une nouvelle de Marcel Mariën. Ecrivain, il consacre, en 1995, une biographie critique à Paul Nougé qui occupa une place centrale au sein du surréalisme belge.
Il ne s'agira pourtant jamais, pour le cinéaste, d'adaptation littéraire. Il se montre surtout soucieux de tirer parti de la charge explosive des textes qu'il utilise, dans leur confrontation avec les images. Sa démarche ressort davantage de la poésie que de la prose. Elle se situe à la frontière fragile entre l'admissible et l'inadmissible, l'interdit. Là où culmine le désir. L'écriture de ses courts métrages installe une tension, souvent insoutenable, entre le texte, éveillant la nature absolue des images mentales, et l'impression très forte des images visuelles. C'est qu'il s'agit, presque à chaque coup de dire l'indicible, de représenter ce qui ne peut l'être. Adoration raconte ainsi l'histoire de cet étudiant japonais qui, à Paris, tua son amie puis, dans un désir de possession totale, la dépeça et la dévora. Ravissement met en scène des fragments des écrits de sainte Thérèse d'Avila alors que La Philosophie dans le Boudoir ranime, par la bouche des comédiens, ce texte devenu un grand classique en librairie qui, dès lors qu'il se trouve porté à incandescence et confronté aux images retrouve son insoutenable puissance visionnaire. Les deux textes sont montés sur les mêmes images : des portraits de femmes présentées de face, dans un décor dépouillé. Aucune violence ne se manifeste, peu de traces de ce feu brûlant la chair des mots et l'âme.
L'Amateur
Comme s'il suffisait à l'oeil de se reposer en ce décor anonyme, presque atone, pour percevoir les cris de la sainte et de Sade. Mort à Vignole questionne, à travers le film familial, le sens ultime de la démarche de tout cinéaste qu'il soit amateur ou professionnel. On peut y voir la mort au travail, dans le grain même de l'image Super 8. Mais cette perte matérielle, consubstantielle à la reconnaissance d'une mémoire affective, transfigure les images conventionnelles des communions et des mariages, des voyages et des souvenirs d'enfance. Elle introduit, subrepticement, les images blanches d'un désir désolé, d'un travail de deuil où se rejoignent la naissance et la mort. A chaque instant, du berceau à la tombe, le tremblement des images accompagne de sa musique minima notre vie.
Entretien
Pourquoi fais-tu du cinéma ?
Pour apprivoiser, avec des images et des sons, les choses que je ne comprends pas. Pour le plaisir de leur donner une forme qui me les rende plus familières. C'est un plaisir un peu masochiste, qui ressemble parfois à celui qu'on peut prendre lorsqu'on stimule de la langue une dent qu'on sait douloureuse. C'est désagréable. Mais on ne peut pas s'en empêcher. Et finalement c'est très agréable ! Et parfois il y a même des spectateurs qui se reconnaissent dans cette manière de poser une question !
Dans la plupart de tes films, on trouve le thème du sacrifice. Est-ce que filmer est un acte sacrificiel ?
Adoration
Symboliquement, filmer, c'est à la fois faire une déclaration d'amour et préparer une mise à mort. Il y a cette ambivalence dans toute l'histoire de l'image, du cinéma. Représenter c'est d'abord nier l'autre. C'est se l'approprier. Les premières caméras avaient la forme d'un fusil que l'on braquait sur le monde. Pour moi il y a toujours quelque chose de l'ordre de la capture, de la violence faite à la personne ou à la chose filmée. Cette violence est très dure, presque inacceptable, même si elle prépare parfois quelque chose de très amoureux. La mise en en scène de cette appropriation, l'offrande du corps et les rites qui l'entourent, m'ont toujours paru émouvants peut-être précisément parce qu'ils participent d'une sorte de sacrifice. Ce qui se passe sur un plateau de cinéma au moment où l'on dit "moteur" procède d'un rituel analogue. Cela me fait penser à ce moment très particulier dans le rite catholique où le prêtre lève l'hostie très haut et la présente. Il y a un silence. C'est très impressionnant, et en même temps, il y a quelque chose de dramatique : il y a une fragilité, une impuissance de la part de la chose ou de la personne qui est ainsi offerte. Le japonais d'Adoration présente ainsi, avant de le mettre en bouche, le morceau de chair découpé dans le corps de la jeune femme qu'il a tuée. Les personnages féminins du Sade/Thérèse ou de L'Amateur sont très clairement des objets de sacrifice, c'est-à-dire présentés comme les agneaux scandaleusement offerts à l'imaginaire du spectateur. Mais elles gardent toutes ce petit "tremblement", ces légères expressions qui traversent leurs regards et leurs visages et qui font qu'en définitive elles ne sont pas du tout des objets. Le spectateur peut ainsi deviner la manière dont elles continuent d'exister derrière le rôle qu'on leur assigne, récupérant à leur profit le piège qui leur est tendu. Elles ont chacune une façon personnelle de se défendre. Tout cela d'une façon presque imperceptible, bien sûr, puisque le parti pris de jeu est minimal.
Dans tous tes films, il y a une forte contrainte à regarder, à être de plus en plus attentif, que la concentration devienne de plus en plus aiguë.
C'est peut-être parce que je promets souvent au spectateur qu'il va bientôt pouvoir enfin TOUT voir ! Plusieurs films tournent en effet autour du désir de montrer ce qui ne peut pas l'être. En réponse à l'attente que suscite cette invitation à tout posséder par le regard, je recours régulièrement aux regards caméra. En tant que spectateur et quel que soit le film, je retiens toujours les plans où le personnage regarde dans la caméra. Par ce regard je suis cloué à mon fauteuil. Je le sens comme une intimité très grande. Moi qui suis voyeur, croyant être à l'abri du film, me voici tout à coup fragile, je fais partie du spectacle. Le voyeur est incorporé au tableau. C'est pour moi la source d'un plaisir très particulier, impliquant la complicité ("dans la certitude de faire le mal", dirait Baudelaire !). Dans Neuvaine, lorsque l'écran devient noir, le narrateur prévient le spectateur qu'il va bientôt reprendre conscience de son corps, assis dans le fauteuil d'une salle de cinéma. Je n'ai guère envie d'emmener le spectateur dans un voyage où il perdrait conscience de son statut de voyeur. Il ne s'agit pas vraiment d'une distanciation. Le but n'est pas que le spectateur réfléchisse et tire les leçons qui s'imposeraient. J'ai plutôt envie de faire rêver tout en permettant de garder conscience du fait qu'on rêve. Un peu comme lorsqu'on rêve entre deux eaux, juste avant de se lever. On est partagé par l'angoisse de se réveiller, de perdre le rêve, et l'angoisse de sombrer à nouveau dans cette fiction qui nous dépasse. C'est très agréable !
Quelle est la part de provocation dans tes films ?
La provocation ne m'intéresse pas en tant que telle, même si elle ne me dérange pas non plus. Ce que je convoite davantage c'est le trouble, l'hésitation dans laquelle on est mis. Le spectateur idéal, pour moi, c'est celui qui accepte de se laisser égarer, qui préfère les questions aux réponses, qui prend au sérieux le territoire de la fiction, même quand celle-ci l'emmène vers des chemins qu'il hésite le plus souvent à emprunter.
Pour beaucoup de gens le sentiment de provocation vient du fait que mes films montrent ce qu'en général on a convenu d'occulter. Et il est vrai que je trouve plutôt stimulante l'idée de faire un film sur une chose à priori infilmable ou interdite de représentation. Par exemple, il est d'une certaine façon interdit de montrer sans les artifices de la comédie ou du film gore, une scène de cannibalisme. On peut discuter de l'opportunité de montrer ça. Mais cette question débouche pour moi sur de nombreuses autres questions à commencer par celle-ci : où nous conduisent ces "excès d'exposition" ? J'ai dans l'idée qu'il arrive presque toujours un moment où, soudain, le spectacle regarde le spectateur. Celui-ci est pris la main dans le sac. On se surprend à être prisonnier de son propre imaginaire. Cette espèce d'extrapolation s'étend pour moi à des images qui ne seraient ni pornographiques ni violentes. L'inconfort du spectateur est à mes yeux source de plaisir, de mise en éveil de l'intelligence et de l'émotion.
Dans ce contexte, Mort à Vignole est un film résolument différent ?
Pas tellement. Même s'il s'agit d'images familiales, la question du rapt de l'autre, à travers ses images, est directement posée. Les regards caméra y sont très présents. Ils cherchent à tendre un réseau de fils vers les spectateurs, les invitant à reconnaître, dans ces regards, ceux de leurs propres enfants, de leurs parents ou de leurs grands-parents. Quand le regard n'est plus là, peut-être ne peut-on plus filmer. C'est une des questions que soulève le film. Seuls les morts, à la morgue, ne peuvent pas se défendre des images. Un de mes fils m'a interdit d'utiliser des plans que j'avais faits alors qu'il dormait. Pourtant c'étaient des images très affectueuses. Mais il comprenait bien la différence.
Quel a été le point de départ de ce film ?
Il est double. D'une part l'envie formelle d'exploiter la qualité particulière des images 8mm lorsqu'elles sont agrandies en 35mm et que le grain se met à fourmiller à l'écran. Cette émotion formelle s'est aussitôt greffée sur l'envie de parler de ces films de famille où l'on garde précieusement la trace de ceux qu'on a aimé et qui ne sont plus près de nous. Une trace qui se confond avec ce grain de la pellicule, une sorte de mémoire affective. Aussitôt, bien sûr, c'était encore aborder la question de la mort mais cette fois sur un registre plus intime.
Quel était le matériau d'origine ?
Mon père et mon beau-père ont tous deux été des cinéastes amateurs, à l'époque glorieuse du 8mm. Ils filmaient peu, sans prise de son, sans réelle maîtrise de la lumière et ne découvraient que tardivement le fruit de leurs efforts additionnés de nombreux hasards. C'est peut-être le mélange de tout cela qui fait que leurs images ont gardé cette force, cette évidence poétique. Quelle différence avec les heures interminables de captations vidéo qu'aujourd'hui on ne prend même plus le temps de regarder en famille tellement elles distillent l'ennui. J'en ai fait moi-même l'expérience en reprenant une caméra 8mm. Filmer ceux qu'on aime redevient quelque chose de grave et de tendre à la fois, quelque chose qu'il n'est plus possible de faire du bout des yeux, en pensant à autre chose. Le poids de la caméra, son ronronnement, le coût et le traitement différé de la pellicule permettent de renouer avec une émotion qui s'est perdue au fil des progrès technolgiques.
Quels sont vos projets ?
J'attends avec impatience le printemps pour aller pêcher à la mouche. J'ai repéré une rivière magnifique, un peu effrayante, où l'on peut se perdre des journées entières entre les courants, les nuages et les feuilles des arbres. Un ami vient de mettre au point une petite mouche grise à corps jaune dont j'espère que les premières farios me donneront des nouvelles.