Olivia Elkaim et les fantômes de Chambord

Par Albrizzi
A quel point la transmission d’un nom et d’une histoire familiale conditionne-t-elle la construction d’une vie ? Dans son magnétique roman, Un secret, Philippe Grimbert nous avait enseigné combien les tabous transmis d’une génération à l’autre, marquent de leur empreinte indélébile les enfants à qui l’on tente d’escamoter la vérité. Olivia Elkaim, dont c’est ici le premier roman, tisse à son tour un livre sur la mémoire et le poids de la culpabilité qui étreint les survivants après un drame.
Trevor, Simon et Isaac. Trois hommes unis par les liens du sang. Le rideau s’ouvre en 2006 sur Trevor, petit-fils d’Isaac Rosenwicz, déporté et mort à Auschwitz, et fils de Simon Rosenwicz, écrivain. Banquier d’affaires, agoraphobe, Trevor a le cœur sec, hormis quelques larmes qu’il laisse parfois couler lorsqu’il fixe le plafond, allongé dans son canapé, en se demandant pourquoi il ne porte pas ce prénom, Menachem, voulu par sa mère.
Deuxième figure du roman, Simon, dans laquelle l’auteur se glisse en s’emparant du « je », est aussi la plus dense et la plus poétique. Seul rescapé de sa famille, il reçoit un jour une lettre du conservateur en chef du Domaine de Chambord. Ce dernier a connu son père et veut lui transmettre ce qu’il sait. En 1941, Isaac avait abandonné les siens pour suivre la lumineuse Dora au sein du réseau Chambord dont presque tous les membres furent assassinés entre 1942 et 1943. La nuit, dans les couloirs du château qui abritèrent les œuvres du Louvre, du Jeu de Paume et de l’Orangerie, Simon découvre des inscriptions sur les murs, serments passionnés de couples à travers les siècles. Isaac en a peut-être gravé une…
Jusqu’au bout, l’écriture pudique d’Olivia Elkaim maintient un suspense qui empêche de poser le livre. Toute en douceur, elle remonte la mécanique cassée d’une famille qui s’éteint. A travers Trevor, dernier des Rosenwicz, elle délivre le désespoir muet d’un fils qui ne sait pas comment « rendre hommage aux traces » laissées par ses pères.
Sitôt refermé le livre, vous n’aurez qu’une envie : prendre un billet de train pour aller lire dans son écrin de pierre, les messages d’un amour abattu en plein vol.
Paru dans Le Figaro littéraire du 13 novembre 2008
Les graffitis de Chambord d’Olivia Elkaïm, Grasset, 280 p., 16,50 euros.