Le beau dÉbat que voilÀ !

Par Francois155

Olivier, en s’interrogeant sur la notion de « dissuasion tactique » lance à nouveau, car il n’en est pas à son coup d’essai, un excellent débat qui fait frémir utilement la blogosphère stratégique. Joseph lui répond à propos, suivi de F. de St. V. qui questionne également sur la question des niveaux d’engagement dans les guerres actuelles ; remarques qui appellent une nouvelle intervention de Joseph, didactique et précise.

Un débat à suivre avec attention, chers lecteurs, et qui, soit dit en passant, montre à nouveau, si besoin était, la vitalité et la qualité des blogs de défense francophones.

Le temps me manque pour mettre plus que mon grain de sel dans ces échanges fertiles. Je livre néanmoins quelques remarques « à chaud », c'est-à-dire partielles, à compléter et à critiquer, sur certains des points qui font cogiter :

- La dissuasion tactique :

L’exercice de la dissuasion (qui consiste à empêcher l’autre d’agir en faisant planer sur lui une menace dont le prix à payer serait inacceptable, une définition rapide et à étayer, c’est certain…) reste essentiellement du niveau du politique. C'est-à-dire qu’elle est stratégique. Certes, le déplacement d’un simple pion tactique (comme, et ce ne sont que des exemples, un SNA ou une batterie de missiles sol-sol bien placés) peut avoir des effets stratégiques en empêchant une décision politique lourde de conséquences sur le déclenchement ou le déroulement d’un conflit. Néanmoins, la décision de placer ici ce pion déterminant sera prise au niveau politique, me semble-t-il, et relèvera donc du niveau stratégique.

Peut-on parler de « dissuasion tactique » ? Oui lorsque, comme dans les cas précédents, un pion tactique a un effet stratégique. Mais une telle décision (car le niveau décisionnel est également crucial dans la détermination des niveaux d’engagement) peut-elle être prise tactiquement, autrement dit par un chef d’unité ? Plus concrètement, un pion tactique peut-il, de sa propre initiative, générer un effet aussi stratégique que la dissuasion, auquel cas l’expression « dissuasion tactique » prendrait un sens beaucoup plus vaste ?

Peut-être, je ne sais pas… À suivre, donc.

-Le caporal stratégique :

Alors, bien sur, on me rétorquera la notion bien connue du « caporal stratégique » selon laquelle l’action d’une unité tactique (voire d’un simple individu, et prise de son propre chef) peut avoir des répercussions politiques déterminantes et, donc, stratégiques. Néanmoins, ce que recouvre cette expression me semble digne d’interrogations : de fait, les effets stratégiques générés par ce fameux caporal se font plutôt sentir « par défaut » (c'est-à-dire de manière négative) qu’à l’inverse. Mais tout cela mérite d’être clarifié, y compris pour moi, aussi je vais prendre un exemple concret.

Prenons le cas, en contre-insurrection, d’une unité A déployée dans un secteur précis : si elle fait correctement son travail, l’unité A aura généré des effets tactiques positifs, c’est indéniable, puisque son secteur sera retourné dans le giron étatique. Notons déjà que ces effets positifs ne peuvent être que l’œuvre de l’unité tout entière : on n’imagine pas un seul homme capable d’arriver à de tels résultats si tous les autres ne travaillent pas avec lui. D’autre part, ces résultats tactiques seuls peuvent-ils avoir un impact stratégique tout aussi positif ? Il est permis d’en douter : si les unités B et C voisines se comportent mal, au mieux l’unité A restera à contrôler son secteur sans que la tache d’huile puisse s’étendre. Au pire, tout le travail de A sera gâché par l’impact négatif de B et de C.

Les effets négatifs de l’action du caporal stratégique sont en revanche immédiatement perceptibles et, pour le coup, peuvent avoir un véritable impact stratégique, c'est-à-dire politique : si le soldat Z de l’unité A, pris d’un coup de folie, lance une grenade dans, par exemple, un lieu de culte bondé ou mitraille un chef local, c’est le travail de toute l’unité qui sera durablement anéanti. Et, dans certains contextes particuliers, cette action unique, l’initiative d’un seul, peut provoquer un retrait de la force sur ordre du politique.

Tout cela pour en venir au point suivant : pour reprendre la notion du caporal stratégique dans un contexte de stabilisation, un pion tactique ne générera de l’effet positif au point d’avoir un impact au niveau stratégique que si tous les autres pions font de même (un peu comme au Go) ; en revanche, un seul pion tactique peut générer un effet négatif stratégique immédiatement et indépendamment des autres (un peu comme aux Dames, en quelque sorte, mais je ne suis pas trop sur de l’analogie…). Bref, le caporal stratégique n’est en fait stratégique que lorsqu’il agit contre son propre camp… S’il se contente de bien faire son travail, son effet sera essentiellement tactique.

Bien sûr, les effets augmentent en fonction de la puissance de feu du pion tactique : « l’aviateur stratégique » qui se trompe de cible générera encore plus d’effets négatifs. S’il met en déroute une colonne rebelle qui s’apprête à monter une embuscade, son impact n’aura été que tactique…

Voici donc quelques petites réflexions « sur le fil », et donc forcément incomplètes et critiquables, inspirées par les échanges en cours et qui, je l’espère néanmoins, donneront un peu de grain à moudre à nos valeureux débatteurs. Beaucoup de points n’ont pas été abordés ici et j’invite donc mes lecteurs à ne pas hésiter à participer eux aussi aux cogitations.