Suzuki au TCE : était-ce le bon lieu pour un concert de ce type ?

Publié le 18 novembre 2008 par Philippe Delaide

Concert hier soir au Théâtre des Champs Elysées (TCE). Maasaki Suzuki et le Bach Collegium Japan interprètent deux cantates de JS Bach (la Cantate BWV 102 « Herr, deine Augen sehen nach dem Glauben! » et la Cantate BWV 140 « Wachet auf, ruft uns die Stimme ») ainsi qu'une des Messes Brèves (Messe en sol mineur BWV 235). Une partie des solistes est constituée des pilliers de l'intégrale que le chef japonais enregistre sous le label BIS (Robin Blaze, Alto et Peter Kooij, Basse) l'autre regroupe la Soprano Hana Blazikova et le ténor Jan Kobow), bons spécialistes de ce répertoire.

Quand on a tant apprécié la pureté et l'élégance du style de Massaki au disque, la transparence et netteté des plans sonore qu'il est capable de restituer, on est forcément frustré à l'écoute des mêmes musiciens avec l'acoustique un peu pâteuse du TCE. En outre, on a affaire à une interprétation qui se veut sans effets inutiles, en petite formation, avec un strict respect du texte. Dans un lieu comme le TCE, je trouve que cette approche se retrouve de facto désincarnée.

La première cantate interprétée (BWV 102), dont le chœur d'introduction sera ensuite repris par JS Bach dans la Messe brève interprétée en seconde partie de concert, démarre un peu poussivement, avec un phrasé paradoxalement un peu raide et, surtout, des solistes qui donnent l'impression d'être pris à froid, interprétant leur partie sans grande conviction. Robin Blaze, dont j'ai déjà souligné les limites dans la revue des différents volumes de l'intégrale est même, je trouve, assez approximatif.  Le ténor Jan Kobow souffre d'un vrai problème de projection de voix et Peter Kooij n'est pas très en forme.

C'est sur la seconde cantate, la fameuse BWV 140, que l'ensemble choral et orchestral révèlent enfin la belle facture du style du chef japonais. Cette cantate est surtout connue pour le célèbre quatrième mouvement interprétée par le ténor ("Zion Hort Die Wachter Singen"), mieux connu dans sa transcription à l'orgue sous le nom de choral du veilleur. Suzuki cisèle, comme à son habitude, les différents motifs de cette aria avec une sublime finesse faisant ressortir les moindres détails tout en préservant l'unité et la cohérence de cette aria. Le ténor Jan Kobow, se révèle plus inspiré et moins inaudible. J'ai surtout noté la beauté du duo entre Hana Blazikova à la voix voix bien timbrée et limpide avec Peter Kooij, plus inspiré que dans la cantate précédente. Ce duo incarne tout l'esprit de cette cantate, à savoir un subtil parallèle entre l'amour sacré et l'amour profane, paraissant choquant mais tout à fait familier pour les fidèles de l'église luthérienne de cette époque. L'ensemble de cette superbe cantate est restitué avec une belle unité et une tension de la ligne parfaitement dosée.

En seconde partie, le Bach Collegium Japan nous révèle une Messe brève BWV235 bien différente de celle interprétée par le jeune et fougueux ensemble Pygmalion (cf. note du 18 octobre 2008). Aux couleurs et à la plénitude sonore des Pygmalion, Masaaki Suzuki "oppose" une certaine densité, plus d'intériorité, une maîtrise rythmique plus implacable et un recentrage à nouveau sur le texte. Il écarte l'option théâtralisée, l'amplitude de phrasés longs et chatoyants. Il opte plus pour une interprétation certes fervente mais plus humble, recentrée sur l'homme et certainement plus conforme à la rhétorique luthérienne (alors que l'expressivité et l'éclat des Pygmalion s'apparente plus à une forme italianisante). Les deux options se défendent, ces messes du cantor en latin ayant été jugées trop proches du rituel catholique par certains fidèles lors de leurs premières représentations.

En conclusion, étant un inconditionnel au disque du Bach Collegium Japan et un fervent admirateur de l'intégrale en court au disque, j'étais un peu déçu de la représentation en concert dans un lieu en fait inapproprié.

Autre compte rendu dans ConcertoNet.com.