Lamentu fauve

Par Angèle Paoli


LAMENTU FAUVE

  Une lumière fauve blondit les feuilles ce matin. L’or s’insinue doux entre les branches pas tout à fait dénudées. Encore gris, vert-de-gris, vert de lauze. Le soleil joue sur la pierre, strate par strate. Le village immobile dort, lové sur ses murs. Fraîcheur matinale.

  Une fumée monte, odeur de feu, pour conjurer l’humidité des cieux d’orage, nuages pommelés, noires rondeurs lourdes de promesses à l’horizon du jour. À peine un rai de joie légère au travers des cils, à peine un sourire esquissé dans la rumeur de l’air, à peine un frisson qui émousse la chair, à peine être là dans le silence du matin.

  La fraîcheur est tombée brutale inattendue, les eucalyptus frissonnent au bord du cimetière. Odeur de terre mouillée. Le lamentu a déserté la chambre mortuaire, mais la veuve est belle sous sa mantille, dentelle noire sur l’ovale.

   Le ciel rouge-feu veille sur les vivants.

  ― Trois nuages traversent le soleil, deux dans un sens, l’autre tente une percée en sens inverse. ―

  Le temps vacille insensible à la douleur des hommes, à leurs menus bonheurs. Les travaux et les jours tressent leurs lianes tendres impalpables, les heures succèdent aux heures, les pleurs succèdent aux pleurs. Femmes silencieuses courbées autour du cercueil. La route long serpent de voitures noires, vitres closes sur le chagrin, visages absents vidés de tout regard.

  À peine mon rêve se dissout-il dans des limbes impalpables et déjà le bonheur frémit au bout des doigts. De pouvoir exister. C’est aujourd’hui pourtant qu’arrivent ses cendres, urne blanche et gerbes de fleurs, et c’était hier aussi que revenait son cercueil. Longues litanies de voitures sur la route, interminable lacis de larmes et de doutes, agaves hautes hampes de fleurs tendues vers le ciel dur, masques invisibles noyés sous le rideau des pleurs. Et ce novembre coupant l’air de sa cisaille, lumière trop forte pour le deuil, tombeaux épars dans les fougères hautes.

  Espaces de blancheur pour accueillir la vie.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


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