Respirer par les yeux, de Joël-Claude Meffre (lecture d'Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Il y a une indéniable force du poème qui tient à la situation : le face à face avec la « chère dépouille » de la mère sur son lit de mort. Pas d’élégie, pas de pompe funèbre, une méditation en quatorze proses courtes dans lesquelles tout est saisi à partir du corps, et plus précisément du « souffle ». Celui du poète, bloqué mais vivant, et celui de la morte, clos. « Comment voir-respirer devant ce qui est là de la dépouille, étrangère à tout souffle ? » C’est bien pourtant cette expérience en apnée qui a lieu et permet de rejoindre l’autre aux yeux fermés, aux lèvres « scellées ». « Et je respire tout entier par les yeux qui pompent vers eux la faible lumière répandue sur ce masque. »
Quelques images secondaires et simples sont utilisées comme la « flamme », ou le tarissement, « le lit creux du torrent d’où l’eau a fui », ou encore le « trou soufflant » du Mont Ventoux… Mais l’intensité du poème vient de cette approche directe, pneumatique, corporelle, du deuil. C’est pourquoi on peut être moins sensible au texte en italiques qui de page en page ourle en quelque sorte les pavés de prose, indiquant une autre saisie, peut-être plus haute, mystique ( ?), mais peu accessible au non-initié : « Mais la source est recluse, à jamais / au plus lointain, au plus inatteignable, / aux confins intérieurs du point, / au centre du cercle le point est un masque qui scelle la source de tous les possibles. »C’est ramener la Poésie par la fenêtre alors qu’on l’avait fait sortir par la porte de prose. On comprend la tension de langue ainsi créée, mais on peut préférer le registre dominant dans ces pages : unepoésie sans envol face à la réalité brute d’un corps aiméqui « a laissé son souffle au portemanteau. »

Contribution d’Antoine Emaz

Joël-Claude Meffre
Respirer par les yeux
Wigwam (72ème titre de la collection)
16 pages, 4,57 €
voir le site des éditions Wigwam
Abonnement pour 5 titres, 18,30 €