Charles Melman : “Addiction et Religion”

Publié le 27 novembre 2008 par Colbox


Intervention de M. Charles MELMAN
en clôture des 9èmes Rencontres de l’U.S.I.D.* “Addiction et Religion”
le jeudi 2 octobre 2008 à la Faculté de Droit de Douai

Je vous assure que vous n’aurez pas droit à l’overdose.
Je crois que le toxicomane qui nous a écouté a pu penser que nous étions des gens vraiment très sympathiques, rares, intelligents et puis il a du regarder sa montre pour se demander s’il n’avait pas raté son rendez-vous avec son dealer. Parce que la question qui subsiste au-delà, bien sûr, de nos élaborations, c’est de savoir pourquoi nous restons avec des moyens aussi limités, voir inefficaces souvent, face à ce problème et donc est-ce qu’il y a dans notre réflexion, dans notre pensée un pas à franchir pour qu’il puisse peut-être en être différemment.
Lacan, à la fin de son parcours disait : c’est la religion qui vaincra. Il voulait dire par là ce ne sera pas la révolution, ce ne sera pas la pensée libérale, ce ne sera pas la psychanalyse, ce sera la religion dans la mesure où il semble que nous soyons ce genre d’animaux qui avons besoin d’une autorité pour venir faire limite à nos jouissances et faire que du même coup, la souffrance que nous éprouvons et que nous vivons la vie durant, devant ce déficit, et bien que cette souffrance soit vécue comme un témoignage de l’amour de Dieu. Voire de sa présence.
Ceci étant, remarquons que la religion, elle aussi, a eu à faire à ses addicts et en particulier elle a eu à lutter contre, par exemple, l’idolâtrie qui est une façon, je dirais exemplaire de témoigner que c’est d’un objet bien réel, bien présent, physique que l’on peut trouver des satisfactions et entre autre spirituelles, sans avoir besoin de cette interrogation permanente sur ce que peuvent être les volontés dernières d’un Dieu énigmatique, caché et qui continue de nous interroger, de faire interrogation alors que l’idole, l’objet, l’objet de satisfaction divine il est là, il est bien présent, et qu’il est tellement plus simple et plus court de se satisfaire d’une idole que de s’engager dans des recherches théologiques. Il est étrange que Marx, puisque j’ai eu l’heureuse surprise d’entendre le Père LECOMPTE venir témoigner qu’il figurait dans ses études, que Marx, pas moins, est venu dire de quelle manière l’objet de nos commerces, de nos échanges, était capable de devenir un fétiche et combien donc du même coup au titre de fétiche comme celui de l’idole il devenait l’élément indispensable à nos vies, à notre économie.
Lorsque vous êtes face à un toxicomane, ce qui frappe c’est que vous ne trouvez pas votre place. Si vous êtes médecin, il vous rappelle que la médecine, il en attend rien dans la mesure où la finalité médicale est de préserver avant tout la vie alors que justement la vie, il n’en a rien à faire et que ce qu’il veut c’est une jouissance qui puisse aller à ses extrêmes.
Si vous êtes un moraliste, il est évident que vous pouvez recueillir sa sympathie, et sa nostalgie de ne pas partager, je dirai, votre moral.
Si vous êtes un interlocuteur, il n’a rien à vous dire car il n’y a pas d’élément commun d’échange possible avec lui. Pour qu’il puisse échanger, il faut que vous soyez, vous aussi, un addict, un toxicomane et dès lors peut s’engager une relation socialisée sinon duelle mais à le présenter tel que je le fais devant vous, je crois que cela montre, à priori, les limites de notre intervention classique, c’est-à-dire singulière, individuelle, à l’endroit de ce type de personne et je dois dire que je pourrais faire état, très rapidement, de l’expérience analytique que j’ai pu avoir avec quelques patients. Combien j’ai été sensible au fait que toutes leurs pensées étaient entièrement machinées, mono idéiques, mono orientées par cet unique objet susceptible de pouvoir les satisfaire. Comment rien d’autre ne pouvait venir pénétrer dans leur articulation langagière et également, je dirai le type de souffrance extrême qui était la leur dès lors qu’ils devaient se satisfaire des produits de substitution qui se trouvaient en vente libre en pharmacie, les dérivés de la codéine, l’élixir parégorique ou des choses voisines etc. Avec les effets secondaires épouvantables que cela pouvaient avoir sur leur organisme et c’est ce qui a fait, que pour ma part, à la vue de cette souffrance et du fait que ces patients étaient pris dans des processus où tout choix ne leur était plus possible, permis ce choix qui est supposé représenter notre potentiel d’humanité, la capacité de faire des choix, où tout choix leur était devenu impossible, c’est cette perspective que, pour ma part, et contre l’avis, je dois dire de ceux que nous appelons les intervenants en toxicomanie, je m’étais engagé avec un certain succès, pour que des drogues efficaces de substitution, la méthadone, le subutex, soient accessibles et qu’ils ne soient pas contraints, je dirai, au vol à l’arrachée, ou bien à la mise à sac d’une pharmacie.
Je ne reprend tout ceci et y compris le fait, que faute, je dirai de l’efficace, de cette relation singulière que nous aimerions nouer avec eux, certes les narcotiques anonymes ont plus volontiers des effets favorables, dans la mesure où justement de retrouver entre semblables une socialisation, des échanges, l’acceptation d’un soutien venu de la part d’un semblable, est ici permis et y compris, comme vous le savez, un rapport, il faut bien le dire, à la religion, puisqu’il est traditionnel que ces réunions commencent par une prière.
Alors, que faire ?
L’exposé de Dany-Robert DUFOUR a, je dirai, pour ma part, le grand mérite de nous rappeler que nous sommes en face de problèmes qui, avant d’être singuliers, sont des problèmes culturels et je pense qu’il faut convenir que l’usage de la drogue, et telle que l’histoire en a laissé des traces, a toujours été un problème culturel. Ca été le problème en chine où, il est évident que des philosophies qui prônaient le détachement vis-à-vis de l’existence et faisaient de l’apathie un idéal, eh bien ces philosophies constituaient le terreau favorable au développement de l’opiomanie. Il est bien évident que les couches bourgeoises aisées et riches trouvaient dans l’usage de la drogue un remède collectif à leur ennui. Le problème c’est qu’aujourd’hui nous nous trouvons devant, ce qu’il faut bien appeler, une démocratisation de l’usage des toxiques et si l’on se demande pourquoi, je veux dire : qu’est ce qu’il y a dans notre culture qui fait que cette démocratisation est possible, parce que d’où ça leur vient, aux toxicomanes, d’où reçoivent-ils leur message inaugural. Inaugural parce qu’une fois qu’ils sont dedans il n’y a plus moyen pour eux, spontané, de s’en rétracter. Ils le reçoivent de notre milieu social. Ils le reçoivent de notre culture évidemment, c’est ce que Dany-Robert DUFOUR a si bien montré à l’instant, quoique n’insistant pas, mais ce n’est pas son rôle ni son métier, sur le fait que parmi les objets qui existent, il y en a qui ont un pouvoir pharmaco dynamique particulier, et que je ne vais pas développer mais que vous savez, qui est celui de provoquer des extases de jouissance, au mépris, bien entendu, de l’existence et qui ont cette propriété de rendre strictement dépendant. Nous sommes tous à des degrés divers plus ou moins dépendant, si on vous prive des objets que la technologie vous fournit et qui vous sont familiers, vous aurez l’impression que vous aurez perdu les insignes de votre humanité. Nous sommes tous devenus dépendants, mais il y a des objets qui ont cette vertu particulière et qui font que nous ne pouvons plus changer de marque, nous ne pouvons plus passer à un autre, alors le toxicomane, lui, quant il est privé d’un, il passe à un autre, mais c’est pour obtenir le même résultat.
Donc, il y a cette promotion de l’addiction qui, effectivement constitue l’idéal de toutes, aujourd’hui, entreprises manufacturières bien sûr, de rendre le client dépendant, addict de ce qu’il lui fournit et le toxicomane, aujourd’hui, chez nous sans aucun doute, reçoit son message directement du milieu social de telle sorte que nous ne pouvons pas dire qu’il est un marginal, nous pouvons dire plutôt qu’il est l’une des figures de notre milieu social.
Le second élément et sur lequel je serai extrêmement rapide c’est qu’il y a, j’ai déjà essayé il y a plusieurs années de le faire entendre en face de délégués gouvernementaux chargés de la répression de la toxicomanie etc. , de la lutte contre la toxicomanie. Je vous assure qu’il ne faut pas, la dessus, être trop bavard, mais il est bien évident qu’il y a des intérêts économiques considérables qui concernent le marché de la drogue et qui ne sont pas simplement le fait de la mafia. Il y a des intérêts économiques que nous estimons globalement, nous estimons que ce marché est d’environ 500 milliards de dollars par année, ce sont des chiffres évidemment énormes. Et quant il y a des intérêts aussi importants qui sont attachés à un marché, nous nous doutons bien que la tempérance qui pourrait lui être mise ne va pas de soi, n’est pas facile, bien au contraire. Ce qui fait donc que, face à l’importance des intérêts engagés directement dans cette affaire, qu’est ce qui se peut ?
Ce qui se peut, il y a, là, évidemment une suggestion qui peut paraître encore aujourd’hui scandaleuse, mais qui verra le jour car il n’y aura pas d’autre moyen devant l’extension des toxicomanies. C’est évidemment de faire, comme pour la prohibition autrefois, il apparaîtra que le seul moyen de lutter contre, c’est de supprimer le marché, c’est-à-dire de faire que le produit cesse d’être source de profits aussi considérables pour les divers investisseurs intéressés, et qu’il soit possible au médecin, non pas que ce soit en vente libre, mais qu’il soit possible au médecin, quand il l’estime nécessaire, de pouvoir le prescrire et de telle sorte que tout ce soufflé, tout ce gâteau énorme que représente ce trafic, s’affaisse. Et évidemment le résultat n’est pas garanti. Des tentatives ont été faites dans certains pays en ce sens, et je pense en particulier à la Suisse. J’ai suivi assez attentivement la manière dont cela se déroulait, ça ne s’est pas avéré immédiatement et démonstrativement efficace. Néanmoins si quelqu’un là-dessus peut avoir de meilleures idées, car il faut en avoir. Nous ne pouvons pas rester comme cela à tourner en rond dans nos concepts et notre bravoure, supprimer les bénéfices énormes qui sont liés à ce trafic, banaliser le produit, faire que ce soit par le biais d’un médecin que passe son administration, c’est-à-dire le médicaliser, ce que le toxicomane déteste, et d’ailleurs les produits de substitution qu’il va chercher posent un certain nombre de problèmes qu’il serait très intéressant de développer. Mais je crois que si nous voulons là-dessus tenter d’être efficaces, je pense qu’il faut abattre le confort de nos idées, le confort, voire même de notre sympathie impuissante. Moi j’aime beaucoup ce qu’a dit Monsieur ALLOUCHE sur les traumas de l’enfance du toxicomane, tout le monde a des traumas. Qui n’en a pas ? Il y a ici quelqu’un qui n’a pas eu de traumas dans son enfance. Cela fait parti de l’enfance les traumas, tout le monde n’est pas devenu toxicomane. Outre le fait que je connais un peu la façon de parler de ces personnes et je sais combien ils ont tendance, je ne dirai pas à fabuler, mais en tous cas combien ils aiment le mythe de la genèse, des troubles etc.
Voilà donc ce que pour ma part je pouvais dire, attirer votre attention et je vous remercie de votre attention.

Source : Unité de Recherches et de Formation sur les Drogues

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* L’Unité de Soins et d’Information sur les Drogues du Centre Hospitalier de Douai

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