Bourbaki, Gödel, les mathématiques et la philosophie

Par Olivier Leguay

En marge de la théorie des structures, les idées bourbakistes sur les fondations ont été critiquées violemment par un logicien, A. Mathias. Son attaque rejoint partiellement les réserves que l'on peut émettre à propos de l'idée de structure : Bourbaki n'aurait jamais vraiment pris au sérieux la logique ou l'épistémologie. Mathias dénonce les approximations concernant le système de Zermelo-Fraenkel ou la trop longue incompréhension des résultats de Gödel. Sous sa forme la plus extrême, l'attitude de Bourbaki sur ces questions est caractérisée par une description restée célèbre de Dieudonné :
« En ce qui concerne l'attitude de Bourbaki vis-à-vis du problème des "fondations" : elle est décrite au mieux comme une indifférence totale. Ce que Bourbaki considère comme important est la communication entre mathématiciens ; les conceptions philosophiques personnelles n'entrent pas en compte pour lui ».

Il faut aujourd'hui en finir avec de telles positions de principe. Si l'échec du programme structuraliste se traduit par la nécessité de rendre au concept de structure sa fonction téléologique sans essayer de le figer en une notion mathématique formalisée univoque, les tra­vaux de Gödel montrent, pour ce qui est des fondements, les limites de la stratégie consistant à se satisfaire d'un système de type Zermelo-Fraenkel, et à se désintéresser de la métamathématique. Nous incluons dans celle-ci les vues synthétiques et prospectives, comme la recherche des concepts originaires d'une discipline, recherche qui n'est pas du ressort direct de la mathématique formalisée. En d'autres termes, pour aller aujourd'hui au-delà de Bourbaki, il faut en finir avec un discours pragmatique et restaurer, aux côtés de la recherche, le débat philosophique. La mathématique a tout à y gagner : c'est pour elle le seul moyen de reconquérir une audience. Les succès médiatiques de la physique, sa concurrente immédiate dans le panthéon des sciences pures, tiennent à ce que ses questions les plus fondamentales ont su frapper l'imagination collective.
"La pensée mathématique contemporaine" de Frédéric Patras pp 133-134