Article : Reigisahô, l'étiquette (2)

Publié le 16 décembre 2008 par Julien Peltier



Après avoir évoqué les fondamentaux de l’étiquette* dans le monde des arts martiaux japonais, nous poursuivons notre analyse en nous penchant sur les spécificités du salut. Ce geste, d’une importance prépondérante, comporte plusieurs ordres successifs donnés par le plus ancien des élèves : « Seiretsu ! » (alignez-vous !), « Choku ritsu Tai » ! (redressez votre corps !). Ces deux ordres concernent le positionnement par rapport aux autres, puis par rapport à soi-même. Se positionner, c’est déjà être présent - ici et maintenant - prendre possession du lieu et le partager avec les autres.

« Zarei » ou « Ritsurei ! » le salut pouvant se faire en position assise ou debout selon les circonstances. « Mokuso ! Mokuso yame ! » sont fréquemment traduits par : prendre une attitude de méditation. Cela ne représente souvent pas grand-chose pour le néophyte, qui ne sait pas vraiment quoi faire à ce moment. « Moku » signifie faire le silence, « Sô » peut être traduit par penser. « Mokusô » - penser calmement - c’est faire le silence en soi, apaiser ses pensées (et non pas ne penser à rien !). Il est souvent paradoxal de voir des personnes vivant dans le brouhaha continu de la journée, développer une telle sensibilité au bruit nocturne qu’ils ne peuvent trouver le sommeil. La nuit, nous devenons extrêmement sensibles au moindre bruit. Le silence venu, la vigilance se développe. Le terme occidental le plus proche de « Mokusô » est la concentration (se centrer avec soi-même, avec son environnement). Ceci a aussi pour effet d’améliorer sa perception, à l’instar du bébé, qui ne peut améliorer sa perception de son environnement qu’en fonction de la maîtrise qu’il a de son axe corporel et de son redressement postural. Il est aisé de comprendre qu’il en va de même pour le Budoka lors du « Mokusô ». Se redresser, être attentif à sa respiration, se centrer sur son « Tanden » (point central du corps : source de l’énergie en médecine traditionnelle chinoise), sont les points essentiels à travailler à cet instant. « Mokusô » est une période d’activité intense qui prépare au « Keiko » (l’entraînement) ! « Keiko Hajimemasu ! » Le cours commence !

© luciferscage D.R.
La formule « Shomen ni taïshi Reï ! » marque le respect de notre héritage. Nous vivons de manière plus confortable que nos parents, et en paix depuis plusieurs décennies. Chaque année qui s’écoule permet aux générations suivantes de vivre plus longtemps et en meilleure santé. Cet héritage, que l’on doit à nos anciens, nous a été transmis quelquefois au prix de lourds sacrifices.
Ce premier salut permet de se remettre en mémoire tout cela ! « Senseï (gata) ni taishi Reï ! » est un salut envers le (ou les) professeur(s), marquant le respect que l’on a pour celui qui a choisi de transmettre et de faire le lien entre l’héritage et ceux qui ont manifesté le désir d’apprendre. Transmettre n’est pas un rôle aisé, il ne peut se faire que dans le souci d’un respect mutuel. C’est la raison pour laquelle le senseï s’incline devant ses élèves.
« Otagaï ni reï ! » Le salut mutuel envers ses partenaires, comment apprendre sans l’aide de l’autre, comment évoluer sans respect réciproque ? L’on parle souvent du pratiquant en tant qu’élève, mais le Reïgisahô revêt une importance capitale pour l’enseignant. Être enseignant donne avant tout des devoirs. Comme pour les samuraï de l’époque, le senseï est avant tout au service non pas de ses élèves, mais de son école. S’il a choisi d’enseigner le Budo, c’est qu’il considère avant tout que les valeurs que lui enseigne celui-ci sont essentielles à la construction de soi-même. Ce sont ces valeurs qu’il a choisi de transmettre, non pas par de belles phrases vides de sens, mais par son comportement, aussi bien sur le tatami, que dans la vie de tous les jours.
Bienveillance, tolérance, clairvoyance, travail, ces quelques mots pour conclure « Rei ni Owarimasu ! ».

© karateshitokan.blogspot.com
Furinkasan
NDLA : « Je remercie spécialement Siegfried Kobilza Senseï, à la fois mon maître et ami , pour sa participation personnelle à ce travail, ses précieux conseils et l’analyse des Kanji. »
* Lire le premier article consacré à l'étiquette martiale