Pasquale Paoli : 200 ans après...

Publié le 07 août 2007 par Corsicanova
L'année 2007 est l'occasion de célébrer la mémoire de Pasquale Paoli mort il y a tout juste 200 ans en exil à Londres. Il en est des grands noms de notre histoire comme de tout à chacun : le personnage ne représente pas la même chose pour tout le monde. Esprit éclairé, tyran avisé, fin stratège, législateur de génie, grand patriote ou simple rebelle à la royauté française tombé dans l‘oubli, Pasquale Paoli a endossé tous ces costumes depuis deux siècles. Le grand empereur romain Marc Aurèle lui-même s'est demandé comment les générations futures parleraient de lui : en tant que philosophe, bienfaiteur de l'empire ou redoutable conquérant? Il fut sans doute tout cela à la fois…

Dès son accession au généralat en 1755 (le 14 juillet s‘il vous plaît!), il tente de faire souffler un vent de démocratie sur cette terre de corse en plein chaos ravagée par deux décennies de révoltes contre Gênes. L'unification du pays lui apparaît indispensable pour une bonne gestion de ce dernier. La mortalité galopante dûe aux guerres, à la misère et la criminalité symbolisée par la vindetta règnent. Paoli sera sans pitié contre cette dernière, qui prive le pays de ses forces vives. Il n'hésite pas à condamner à mort un de ses propres cousins coupable de vindetta malgré les demandes de grâce désespérées de la famille! La terrible Ghjustizia Paolina demeure encore de nos jours le synonyme d'une justice implacable et intransigeante. Certains détracteurs du général lui reprochaient une lecture assidue du célèbre ouvrage de Machiavel Le Prince, perçu comme un véritable mode d'emploi pour tyran avide de pouvoir. En effet ce livre du génie italien qu'était Machiavel était bien connu de Paoli mais cet ouvrage était avant toute chose un des témoignages les plus éloquent du réalisme implacable dont faisait preuve le florentin pour son époque et Paoli en tant qu'homme du XVIIIè siècle n'échappait pas à la culture de la Renaissance très en vogue à l‘époque.

Bien sûr, la démocratie rêvée par le général n'avait pas tout à fait les aspects de celle sous laquelle nous vivons, bien souvent défaillante d'ailleurs. On a souvent dit que Paoli avait donné le droit de vote aux femmes, ce qui n'est qu'en partie exact. En effet le vote au sein d'une famille était réservé au chef de celle-ci à savoir le père. Si ce dernier venait à décéder c'était le fils aîné qui était appelé aux urnes. La femme ne pouvait exercé son droit civique que si l'aîné se retrouvait dans l'impossibilité de le faire pour des raisons quelconques. Un système qui était malgré tout beaucoup plus avant-gardiste que le modèle français qui ne verra le vote d'une femme que 190 ans plus tard au lendemain de la Seconde guerre mondiale.

Sa formation militaire au royaume de Naples, réputé pour sa tolérance et son ouverture au monde fera de lui l'homme des Lumières unanimement reconnu que nous connaissons. Il se battit toute sa vie pour la liberté de son peuple et si sa qualité première n'était pas de posséder le génie militaire de l'un de ses plus fervent admirateur (il est bien sûr question de Napoléon…), il fût un législateur hors pair très largement en avance sur son temps, ce qui lui valu les foudres du royaume de France et de Louis XV encore embourbé dans l'obscurantisme de l'Ancien Régime. Si il eut le premier la volonté de doter son petit et pauvre pays d'une constitution démocratique, ce n'est pas lui qui fit la demande de sa rédaction à Jean Jacques Rousseau, mais c'est bien Matteo Buttafuocco son conseiller qui se chargea de faire la démarche. Ce qui n'empêcha pas ce dernier de trahir Paoli à la veille de Ponte Novu lorsqu'il négocia avec le général français Choiseul.

On imagine souvent Paoli faisant feu de tout bois contre la monarchie française et son peuple d'envahisseur. Il n'en fut rien. Il a défendu les intérêts de son peuple contre Louis XV lorsque Gênes a vendu la Corse à la France comme on vend un troupeau de bétail, et parce qu'il avait vu avant la majeure partie des hommes éclairés de ce siècle que le système monarchique n'était plus crédible et qu'il était temps de s'en libérer.
Mais il considéra la Révolution française de 1789 comme un des plus beaux jours de sa vie et cela pour deux raisons principales : tout d'abord parce qu'il pensait que la Corse allait jouir d'une très large autonomie au sein de la France dans un premier temps avant de penser à une éventuelle indépendance. Ensuite parce qu'au-delà de la révolution française et des bienfaits qu'elle aurait pu apporter à son île, Paoli saluait le triomphe de la démocratie, de la liberté et des idéaux humains portés par ce siècle des Lumières dont il était un des grands représentants. Dès son retour d'exil, n'oublions pas qu'il fût acclamé debout lors de son entrée à Paris dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale et célébré comme un des pères européen de la liberté. Les seules raisons de sa rupture avec la France est l'accession au pouvoir des jacobins qui instaureront la fameuse Terreur en bafouant les propres fondements démocratiques de la Révolution faisant tomber beaucoup de têtes dont celles du roi déchu Louis XVI et de sa femme Marie Antoinette. Paoli a vivement condamné ces exécutions les qualifiants d' « assassinats » inutiles.

Au-delà de son œuvre que nous ne pouvons étudier en un seul article lorsque certains y ont consacré leur vie, il est intéressant de voir que Pasquale Paoli connaissait bien son peuple et n'en faisait pas toujours un tableau des plus élogieux. Par exemple au lendemain de la victoire de Borgo sur les français juste avant Ponte Novu, un de ses conseillers le félicita en lui louant la bravoure de ses hommes. Sans remettre en cause leur courage légendaire au combat et afin de lui faire part des difficultés qu'il avait parfois à tenir ses troupes Paoli lui répondit ceci : « J'ai ici de quoi faire 2000 capitaines mais à peine 200 soldats! ». Nous connaissions les qualités d'observateur et de visionnaire de Paoli mais un tel réalisme! Avouons que les choses n'ont pas changé…

Nous devons la réactivation du mythe de Paoli à la seule et unique branche nationaliste ce qui a eu le mérite de faire redécouvrir l'homme aux nouvelles générations et aux plus anciennes qui l'avaient très clairement oublié ou ignoré (l'acculturation subie par la Corse fera peut être l'objet d'un autre article). Même si souvent les exagérations vont bon train sur l'aspect rebelle de Paoli dans les rangs de ceux qui lui ont en quelque sorte redonné vie, les plus farouches opposants au nationalisme n'ont vu dans l'extraordinaire homme d'état qu'un porte drapeau du « tout sauf français ». Ridicule au vue de ce que nous venons d'expliquer, tout comme l'idée que la civilisation et le progrès n'ont vu le jour en Corse qu'à l'arrivée des français, preuves supplémentaires que trop de corses méconnaissent leur histoire parce que jugée non conventionnelle par les « très officiels » programmes scolaires. (à lire aussi Les trous de mémoire de l'histoire française)

Cet anniversaire est donc l'occasion de célébrer la mémoire de celui qui fut appelé « U Babbu » par son peuple dont il était très proche malgré son rang et qui se voulait être avant toute chose un homme de liberté dans la lignée des esprits éclairés du siècle des Lumières. C'est parce qu'il a voulu le bien commun que son souvenir doit appartenir à tous, tout bords confondus afin qu'il puisse continuer à rejaillir dans le regard des corses de demain.