“La bête rugissante”

Publié le 27 décembre 2008 par Jlhuss

Lire ou relire sans attendre ! Jack London, “Le Talon de fer“.

Etonnant ! Un ouvrage écrit en début de siècle, avant-même la triste crise de 29, et qui décrit à merveille des mécanismes que nous retrouvons de nos jours. Un roman d’anticipation politique époustouflant.

“On leur enseignait, et plus tard ils enseigneraient à leur tour, que leur façon d’agir était la bonne. Ils s’assimilaient l’idée aristocratique dès le moment où, tout enfants, ils commençaient à recevoir les impressions du monde extérieur - elle avait été tissée dans leurs fibres jusqu’à ce qu’elle fît partie de leurs os et et de leur chair. Ils se regardaient comme des dompteurs d’animaux, des meneurs de fauves. Sous leurs pieds s’élevaient toujours des grondements souterrains de révolte. Au milieu d’eux, à pas furtifs, rôdait sans cesse la mort violente; les bombes, les balles et les couteaux représentaient les crocs de cette bête rugissante de l’ Âbime qu’ils devaient dominer pour que l’humanité subsistât. Ils se croyaient les sauveurs du genre humain, et se considéraient comme des travailleurs héroïques se sacrifiant pour son plus grand bien.


Ils étaient convaincus que leur classe était l’unique soutien de la civilisation, et persuadés que, s’ils faiblissaient une minute , le monstre les engloutirait dans les profondeurs visqueuses de son ventre avec tout ce qu’il y a de beauté et de bonté, de joies et de merveilles au monde. Sans eux, l’anarchie régnerait et l’humanité retomberait dans la nuit primordiale d’où elle eut tant de peine à émerger. L’horrible image de l’anarchie était constamment mise sous les yeux de leurs enfants, jusqu’à ce que, obsédés par cette crainte entretenue, ils fussent prêts à en obséder leurs propres descendants. Telle était la bête qu’il fallait fouler aux pieds, et son écrasement constituait le suprême devoir de l’aristocratie. En résumé, eux seuls, par leurs efforts et sacrifices incessants, se tenaient entre la faible humanité et le monstre dévorant; ils le croyaient fermement, ils en étaient sûrs.
Je ne saurais trop insister sur cette conviction de rectitude morale commune à toute la classe des oligarques. Elle a fait la force du Talon de fer, et beaucoup de camarades ont mis trop de temps ou de répugnance à la comprendre. La plupart ont attribué la force du Talon de fer à son système de récompenses et de punitions. C’est une erreur. Le ciel et l’enfer peuvent entrer comme facteurs premiers dans le zèle religieux d’un fanatique; mais, pour la grande majorité, ils sont accessoires par rapport au bien et au mal. L’amour du bien, le désir du bien, le mécontentement de ce qui n’est pas tout à fait bien, en un mot, la bonne conduite , voilà le facteur primordial de la religion. Et l’on peut en dire autant de l’oligarchie. L’emprisonnement, le bannissement, la dégradation d’une part, de l’autre les honneurs, les palais, les cités de merveilles, ce sont là des contingences. La grande force motrice des oligarques est leur conviction de bien faire. […] La force de l’oligarchie réside actuellement dans sa conception satisfaite de sa propre rectitude.”

Jack London dans “Le Talon de fer”

Trostski considérait ce livre écrit en 1908, “comme le seul roman politique réussi de la littérature.”
Il écrit à la fille de l’auteur : “Ce livre a produit sur moi -je le dis sans exagération- une vive impression.” Il “m’a frappé par la hardiesse et l’indépendance de ses prévisions dans le domaine de l’histoire” …

On peut ici constater que les vertus revendiquées par cette classe, sont exactement les mêmes qui fondent de nos jours la “suffisance”du “social-traître” : Ils sont convaincus que “leur classe était l’unique soutien de la civilisation, et persuadés que, s’ils faiblissaient une minute , le monstre les engloutirait dans les profondeurs visqueuses de son ventre avec tout ce qu’il y a de beauté et de bonté, de joies et de merveilles au monde” : Parfaitement réversible !

Le Talon de Fer a d’autres qualités, un style très vif avec de très belles images ; les dialogues,  qui opposent Ernest aux chantres du capitalisme, sont l’occasion de “tableaux” très vivants, et souvent très amusants, de certains points de la théorie marxiste. En France et ailleurs, il est de mode de resservir “du réformisme”. Le Talon de fer démonte radicalement ces théories réformistes; c’est sans doute cette dimension révolutionnaire qui insère parfaitement ce livre dans le débat actuel à gauche.

Lisez ou relisez, vous ne manquerez pas d’être surpris par le côté “actuel” d’une oeuvre publiée il y a plus d’un siècle.

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