Et les Gauloises ?

Par Amaury Piedfer

L'évocation du passé et de l'héritage celtiques de la France se fait souvent au masculin. Guerriers, combats, armes, dieux... nos ancêtres les Gaulois.
Et les Gauloises ?
César ne donne que peu d'informations sur les femmes : ses Commentarii de Bello Gallico ne s'intéressent qu'à la chose militaire et aux aspects anthropologiques les plus pittoresques, susceptibles d'intéresser l'aristocratie sénatoriale à laquelle il s'adresse ; on peut cependant y glaner quelques indices sur la place de la femme de la société. Ainsi, le proconsul note l'égalité financière et patrimoniale qui prévaut dans le mariage (BG, VI, 19, 1-2) : "Les hommes, en se mariant, mettent en communauté une part de leurs biens égale, d'après estimation, à la valeur de la dot apportée par les femmes. On fait de ce capital un compte unique, et les revenus en sont mis de côté ; le conjoint survivant reçoit l'une et l'autre part, avec les revenus accumulés".Cependant, le caractère très nettemment patriarcal de la société gauloise, révélé par la structure de l'habitat (maisons indépendantes destinées à accueillir une cellule familiale restreinte), se confirme à la lecture de BG, VI, 19,3 : "Les maris ont le droit de vie et de mort sur leurs femmes comme sur les enfants". Des rôles différenciés, donc, mais qui ne place pas les femmes gauloises aussi systématiquement que l'on s'imagine parfois en position d'infériorité [1].
A propos des époques antérieures aux IIème-Ier siècles av. J.-C., nous en sommes réduits à des conjectures, et si certains ont interprété les fabuleuses tombes des "Princesses" de la fin du Hallstatt (fin VIème - début du Vème siècle av. J.-C.) comme les indices d'une société martriacale (B. Chaume) [2], aucune preuve ne permet de l'affirmer, puisque le soin dans la parure funéraire et l'existence de tombeaux monumentaux féminins (ci-contre : la tombe de Vix, Bourgogne) ne sont pas suffisants pour prouver la transmission des richesses et du pouvoir par les femmes, ce qui constitue, en anthropologie, le fondement d'une société dite "matriarcale".
A l'époque de La Tène (450 - 50 av. J.-C.), s'élabore sans doute progressivement la figure de la femme gauloise telle qu'elle se dessine dans César : on trouve encore de riches tombes féminines, associant souvent bracelets, fibules et torque, attribut plus souvent féminin que masculin. Dans tous les cas la place sociale des femmes gauloises est affirmée, ce qui montre qu'elle jouaient un rôle de représentation fondamental.
Tout ceci pourrait paraître bien lacunaire, mais quelques découvertes extraordinaires permettent de préciser, sinon la place des femmes dans la société, du moins l'aspect physique et la parure quotidienne de nos ancêtres les Gauloises, ce qui n'est tout de même pas rien dans la définition d'une identité collective. Nous partons donc au coeur de l'ancien territoire arverne, coeur de la Gaule, voici près de 1900 ans."Six sépultures du IIème siècle mises au jour aux Martres-de-Veyre (Puy-de-Dôme) en 1851 et 1893, constituent des découvertes tout à fait exceptionnelles. Creusées dans une région environnementale de sources minérales riches en acide carbonique, ces tombes furent en effet retrouvées dans un état de parfaite conservation. Dans un cercueil en sapin, gisait le corps d'une jeune femme blonde, âgée d'environ vingt ans. Elle portait une ample robe de laine marron maintenue à la taille par une étroite ceinture, des bas et des chaussures de cuir garnies de clous. Une tresse enroulée, de la même couleur que ses cheveux, était posée près de son épaule, ainsi qu'une corbeille d'osier, presque intacte, contenant des fruits. Mais la découverte la plus extraordinaire - et la plus émouvante aussi- fut celle de la tombe d'une fillette de cinq à six ans. La fillette qui dormait là depuis tant de siècles, relate un témoin oculaire, avait une chevelure abondante, relevée en touffe sur le front et retenue à la partie supérieure de la tête par un peigne de buis à double rangée de dents. Les cheveux étaient d'un blond ardent ; le visage conservait encore une légère pellicule d'épiderme (...). Le corps possédait des lambeaux de chair soudés aux ossements mais il était facile de prévoir que la dessication les ferait peu à peu disparaître. Près du petit corps les proches avaient déposé douze vases de terre cuite, deux assiettes, deux balsamaires, trois boîtes cylindriques de bois tourné, une corbeille d'osier remplie de fruits (noisettes, noix, raisins, pommes), une quenouille garnie de laine, un fuseau avec des pesons et divers fruits, graines et comestibles." [3].Cette remarquable description montre tout le soin que l'on apportait à la dernière demeure des femmes gauloises et laisse entrevoir toute l'affection que le mari, le père, portait à sa parenté féminine. On notera aussi la précision des données relatives à la physionomie de ces deux gauloises : le "blond ardent" de leurs cheveux a pu marquer l'esprit des descripteurs Grecs et Latins au point que ce trait physique deviennent l'un des poncifs de l'identité gauloise vue des bords de la Méditerranée européenne.
Par ailleurs, quelques remarquables reliefs d'époque gallo-romaine confirment la grande beauté des Gauloises, par des figures d'une grâce étonnante, que l'on croirait voir surgir du coin de la rue, tant le caractère vivant des représentations et la plastique des visages sont en parfaite conformité avec nos propres canons de beauté, comme sur ce relief d'un mausolée de Trèves, du milieu du IIème siècle ap. J.-C. [4].

En observant ce relief, on comprend que malgré les presque 2000 ans de civilisation qui nous séparent de cette dame, nous sommes encore aujourd'hui les héritiers directs de ce que fut la Gaule celtique et romaine.
Enfin, sur le plan symbolique et sacré, les figures féminines ont une place de premier ordre : les triades de déesses-mères, spécifiquement celtiques, symboles de la fécondité mais aussi de la Terre qui nourrit et protège, sont omniprésentes en Gaule. De plus, il est désormais acquis que se conservaient dans le panthéon gaulois des avatars de la "grande déesse indo-europénne", dont les traits nous permettent de comprendre la place centrale qu'occupaient les femmes dans l'imaginaire et les société européennes. B. Sergent [5] décrit avec précision, grâce à la méthode comparatiste, les principaux éléments constitutifs de l'identité de cette déesse celtique et européenne :
"l'intervention dans l'épopée, l'ambiguïté, le rôle décisif dans la victoire du camp soutenu par la déesse, le patronage de la décapitation, la relation avec le sang et avec la couleur rouge, avec les sacrifices humains, la relation étroite avec les oiseaux, qui peut aller jusqu'à la métaphormose, celles avec les chevaux, avec le char, avec les techniques, avec la santé, avec les bovins, avec les instruments à vent, la vision particulière de la déesse, le fait que les trois grandes déesses dépassent la sphère guerrière où elles ont pourtant leur épicentre, qu'elles sont mères, qu'elles ont toutes un caractère de triplicité, se répartissant, dans certaines définitions explicites, sur les trois fonctions indo-européennes, enfin l'association étroite qu'entretient la déesse avec un guerrier sauvage. On ajoutera, points que je n'ai pas abordés en 2004 [6] : la brillance -l'un des noms de la déesse celtique est Brigid, mot apparenté à l'anglais bright, "brillant", et Enrico Campanile a montré le caractère auroral de cet aspect de la grande déesse celtique ; (...)"
Morrigane, Bodb, Brigantio, Epona, sont les différents avatars de cette "grande déeese celtique" que le travail de B. Sergent a permis de reconstituer. Ce qu'on peut déduire de ce portrait symbolique, c'est que tout sauf une figure soumise, le simple inverse de l'homme ou sa négation, la femme gauloise est au contraire un pilier spécifique et indispensable à la société, même dans le domaine très masculin de la guerre, et qu'elle se définit comme également indispensable à l'ordre du monde.
Aujourd'hui, fort heureusement, la plupart des Gaulois savent encore d'instinct qu'il faut rejeter d'un même geste les idéologies et systèmes de valeur qui voudraient confondre tout à fait les deux sexes comme ceux qui voudraient soumettre les femmes à une injuste tyrannie masculine. Et les Gauloises leur en savent gré.
Amaury Piedfer.
[1] Sur ce sujet, voir le dossier "Les femmes celtes", L'archéologue - Archéologie nouvelle, n° 84, juin-juillet 2006, p. 3-20 ; l'ouvrage de J. Markale, La femme celte, Paris, 1978, outre qu'il est déjà ancien, traite surtout de l'image de la femme dans la mythologie celtique médiévale, et apporte donc des éléments intéressants au plan symbolique, mais peu au plan anthropologique.[2] B. Chaume, Essai sur l'évolution de la structure sociale hallstattienne, dans Aristocratie antique, modèles et exemplarité sociale, Dijon, 2007, p. 25-55.[3] G. Coulon et J.-Cl. Golvin, Voyage en Gaule romaine, Paris, 2002, p. 171.[4] Ce relief est publié et analysé par J.-J. Hatt, La tombe gallo-romaine, Paris, 1986 (1ère édition : 1951), planche V. [5] B. Sergent, Athéna et la grande déesse indienne, Paris, 2008, p. 341-342.[6] L'auteur évoque son ouvrage Le livre des dieux, Celtes et Grecs, II, Paris, 2004.