Quoi de neuf ? Voltaire.

Publié le 04 janvier 2009 par Jlhuss

Les premiers romantiques, puis Flaubert et les poètes « maudits » : tout le gratin du XIXe siècle  accrédita l’idée que les bourgeois sont par essence bornés, incapables de talent, d’élévation et de générosité. C’était faire bon marché du siècle précédent, où les « Lumières » furent imposées par une bourgeoisie émancipatrice contre une noblesse et un clergé obtus.

Voilà la pensée qui peut venir d’abord à l’esprit quand on referme le dernier ouvrage de Max Gallo, consacré à Voltaire , « Moi, j’écris pour agir  »  : cinq cents pages au présent de narration et délestées de toute érudition voyante, qui déroulent à bonne allure le récit d’une vie longue et féconde. François Marie Arouet naît sous le règne de Louis XIV, en 1694 , et meurt sous celui de Louis XVI, le 30 mai 1778, peu avant cette grande Révolution qu’avec les autres encyclopédistes il aura tant contribué à préparer -sinon à prévoir ni même à souhaiter dans les formes extrêmes qu’elle prit.

Max Gallo aime la France et tous les grands hommes qui l’ont illustrée. Pourtant cette « Vie de Voltaire » n’a rien d’une hagiographie. Le courtisan, l’ambitieux, l’âpre au gain, le rusé, le menteur, le rancunier en lui ne sont pas occultés. Mais Gallo a de la sympathie pour son modèle en même temps que le sens du devoir d’historien . C’est assez pour que les « défauts » de Voltaire soient mis en perspective.

Menteur, rusé ? C’est qu’il fallait bien de la stratégie en un temps où l’on pouvait encore saisir et brûler en place publique les livres et les personnes. Pour abattre « l’Infâme », il faut louvoyer, renier les ouvrages incriminés, protester de son orthodoxie et flatter les puissants. Mais dès que la menace s’estompe : un nouveau brûlot ! La guérilla vaut mieux que la bataille rangée.

Rancunier ? Voltaire poursuit avec acharnement les imprimeurs qui déforment ses œuvres pour discréditer son combat ; il écrase sous son ironie les littérateurs jaloux qui tentent d’affaiblir à travers lui le rayonnement des idées nouvelles, et jusqu’à ce J.-J.Rousseau qui vient disqualifier le progrès des sciences ou condamner le théâtre quand tous les philosophes travaillent à promouvoir la connaissance et les douceurs de la civilisation.

Apre au gain ? M. de Voltaire place et fait fructifier, devient assez riche pour prêter aux aristocrates dispendieux, imposer le respect, assurer son indépendance en un temps où seule une solide fortune peut faire par moments oublier qu’on n’est pas « né ». Cet argent lui permet d’être enfin propriétaire à soixante-quatre ans en acquérant le domaine de Ferney, tout près de la mesquine Genève et si loin de Paris dont il se languit. Mais ce long « exil » est le donjon d’où il s’active aux yeux du monde pour dénoncer l’arbitraire de nos Parlements, restaurer l’honneur des persécutés et traquer la misère hic et nunc en développant l’agriculture, l’industrie et le commerce. « Cultivons notre jardin. »

Max Gallo donne bien à voir le courage qu’il fallut à cet homme si malade pour ne jamais désarmer dans la lutte contre l’intolérance. Parmi tant d’autres pages (dont celles du burlesque retour de Prusse), on garde en mémoire le récit des scènes où le petit peuple de Ferney fait une haie d’honneur au « seigneur » qui l’a tiré de la pauvreté ; ou bien l’image finale du vieillard exsangue revenu à Paris pour y mourir à quatre-vingt-quatre ans, fêté partout comme un héros, saluant de sa loge la foule qui se presse à la Comédie française pour l’ovationner.

Heureuse idée que d’avoir titré les divisions du livre avec des citations de Voltaire ! Voici les trois dernières, dont l’application est universelle : « Il ne faut que cinq ou six philosophes qui s’entendent pour renverser le colosse », « Le monstre du fanatisme rend les derniers soupirs en se débattant », « Il faut dans cette vie combattre jusqu’au dernier moment ».

Sans prétendre rivaliser avec les exhaustifs ouvrages universitaires, ni apporter de révélations dans un domaine si exploré, « Moi, j’écris pour agir » nous rappelle du moins sans ennui que le combat pour la liberté est toujours à refaire, et que le meilleur chemin pour y vaincre passe moins sûrement par les fastes de l’idéalisme doctrinaire que par l’obstination du pragmatisme éclairé.

Quoi de neuf ? Voltaire.

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