Atlas Sound "Let The Blind Lead Those Who Can See But Cannot Feel"

Publié le 08 janvier 2009 par Jb
Note : 8/10
Meilleurs titres : River Card/ Quarantined/ Ativan
Ayant adoré le récent double album de Deerhunter Microcastle/Weird Era Cont. (à tel point qu’il figure tout en haut de mon best of 2008), je me suis évidemment intéressé d’un peu plus près à ce qui touche ce groupe et son chanteur-leader, Bradford Cox.
Or il se trouve que Cox avait sorti, un peu plus tôt dans l’année, un album solo sous le nom de Atlas Sound, album intitulé Let The Blind Lead Those Who Can See But Cannot Feel.
Lorsqu’on pense au double album avec Deerhunter et à cet album solo en 2008, plus le fait que le précédent Deerhunter, Cryptograms, date de 2007 seulement, on comprend que l’inspiration de Bradford Cox est foisonnante : selon moi seuls les meilleurs sont capables de creuser tant de projets en si peu de temps. Je pense par exemple à Billy Corgan dans les années 90, le chanteur, guitariste et tête pensante des Smashing Pumpkins qui, en plus des extraordinaires albums qu’il sortait, était capable de balancer sur le marché des tas de faces-B d’une qualité exceptionnelle (témoins le super disque Pisces Iscariot et le génialissime coffret The Aeroplane Flies High). Je pense, plus récemment, à Matthew Bellamy, chanteur, guitariste et tête pensante de Muse qui lui aussi, en plus de ses talents de musicien ébouriffants, n’y va pas avec le dos de la cuillère question faces-B.
Mais que vaut donc l’album Let The Blind Lead Those Who Can See But Cannot Feel de Bradford Cox alias Atlas Sound ? Bien entendu, on cherchera pour commencer les points de comparaison et de divergence avec Deerhunter et, à vrai dire, ce ne sera pas tâche impossible à surmonter.
Côté points communs, des influences parfois proches qui vont vers l’ambient, la new wave et le shoegaze. Des façons d’amalgamer à ces influences des ambiances plus pop ("River Card") voire rétro ("Ativan"). Des titres qui parlent de ghost stories, de maladie ou de froid glacial. Amoureux de popsongs qui foutent la pêche, passez votre chemin !
Côté divergences avec Deerhunter, une veine encore plus mélancolique et intimiste qui glisse parfois vers la claustrophobie et l’étouffement. Une production beaucoup plus influencée par l’electro (utilisation de samples comme sur "A Ghost Story" ou de loops comme sur "Cold As Ice", recours à des effets synthétiques et des boîtes à rythme comme sur "Quarantined" ou "On Guard").
Let The Blind Lead Those Who Can See But Cannot Feel de Atlas Sound serait un peu, toutes proportions gardées, à rapprocher de The Eraser, l’album solo de Thom Yorke, le chanteur de Radiohead. Par rapport aux opus de son groupe Radiohead, The Eraser était plus minimaliste, plus dépouillé, plus expérimental aussi, plus electro. On pourrait dire la même chose avec Atlas Sound.
Très bon exemple de ce rapprochement selon moi : les titres "Cold as Ice" de Atlas Sound et "Harrowdown Hill" de Thom Yorke, qui jouent tous deux sur le croisement entre un loop de guitare limite funky et une rythmique electro-dance minimaliste.
Mais le rapprochement s’avère aussi marqué en ce qui concerne la voix. The Eraser avait permis à Yorke d’exposer un peu plus sa voix qu’il ne le faisait sur les albums de Radiohead, la faire jouer sur d’autres nuances, plus intimistes. Avec cet album solo, Bradford Cox fait la même chose : il pousse sa voix dans les aigus, lui appose beaucoup d’écho, la traite presque comme un instrument à part entière.
Mis à part Thom Yorke, l’empreinte de My Bloody Valentine est également perceptible sur plusieurs titres de l’album. La palme sans doute à "Small Horror" et "Ready, Set, Glow" qui rappellent certaines plages du classique Loveless.
Avec son atmosphère languissante et éthérée, vaporeuse et aérienne, nostalgique et élégiaque, Let The Blind Lead Those Who Can See But Cannot Feel nous permet de découvrir une autre facette de Bradford Cox et d’offrir un pendant plus personnel à ce qu’il apporte au sein de son groupe Deerhunter.
Je ne saurais trop conseiller d’écouter ce très bel album dans un état proche du demi-sommeil, une nuit d’insomnie au fond de son lit par exemple ou un matin lorsqu’on peut traînasser un peu et qu’on n’est pas obligé de répondre à l’injonction du réveil. Ou bien encore une après-midi où il fait bien pourri dehors et qu’on peut rester tranquillement chez soi au chaud, ou pour finir un jour que l’on est cloué chez soi avec une bonne fièvre et vaguement délirant ou léthargique.
Cela accentuera sans doute l’impression d’avoir affaire à une sorte de rêve ou d’idée confuse qui tourne dans la tête sans que l’on sache exactement de quoi il s’agit. Certaines œuvres précieuses sont ainsi : même si l’on n’arrive pas vraiment à mettre le doigt dessus elles ne nous quittent pas facilement et reviennent affleurer à notre conscience comme un leitmotiv entêtant et envoûtant, à l’image de la superbe "River Card".