L’entreprise et son fondateur : une seule et même histoire ?

Publié le 15 janvier 2009 par Jérémy Dumont

Il est courant que le mythe du fondateur se confonde avec celui de son entreprise. Puis, un jour l’histoire continue sans lui... Les patrons prévoyants, qui opèrent eux-mêmes la nécessaire séparation des deux histoires en prévision de leur retraite, ne sont pas nombreux. Comment les sociétés, confrontées à un renvoi ou à une disparition tragique de leur leader, réagissent-elles ? Le storytelling peut-il les aider à clarifier et à dépasser cette dichotomie ?

Les entreprises modernes sont souvent complexes à appréhender dans leur globalité et il peut être plus simple et plus efficace de ramener les histoires qu’elles racontent à celle de leur leader charismatique. Peu de gens pouvaient correctement identifier les différentes activités de Vivendi Universal, mais tout le monde connaissait la biographie et la chaussette trouée de Jean-Marie Messier .


Plus dure sera la chute

Quand un PDG est démis de ses fonctions, la séparation entre son histoire et celle de son entreprise est brutale. Ce fut le cas en 1985 quand Steve Jobs, victime d’une guerre de pouvoir, a dû quitter Apple. Mais le choc a été tout aussi rude pour les fans de la firme à la pomme qui ont déserté en masse ses produits. Du point de vue storytelling, la société a mis à la porte celui qui savait raconter les histoires et elle n’avait plus rien à dire sur la sienne à ses clients. Pendant ce temps, son ex-patron commençait, lui, sa deuxième vie . La solution après 10 années de crise qui ont amené Apple au bord du dépôt de bilan ? Faire revenir son fondateur pour que leurs deux histoires soient à nouveau confondues. Le succès a bien sûr été au rendez-vous, comme en témoignent amplement iPods et autres iPhones.  Mais la société est aujourd’hui plus dépendante que jamais de Jobs et des fluctuations boursières consécutives aux rumeurs sur sa santé. Apple n’est toujours pas préparé au second départ de son gourou, pourtant inévitable à terme.
De la même façon, la personnalité de Karl Lagerfeld se plaque sur la marque qu’il a su revitaliser - Chanel - de façon si écrasante qu’on peut craindre la crise qui frappera l’auguste maison de Mademoiselle Coco quand le Kaiser de la mode rejoindra le Walhalla ...


Lever la malédiction de la momie

Paradoxalement, la mort - même inattendue - du PDG semble a priori plus facile à gérer que son renvoi. Après tout, ne suffit-il pas de faire comme s’il était toujours là ? Ainsi, The Walt Disney Company continue son histoire sans Walt Disney depuis plus de 40 ans. Dans un premier temps, les équipes dirigeantes se sont employées à achever les projets initiés par le patron. Ensuite, elles ont eu à prendre des décisions inédites, mais toujours en se demandant servilement : “qu’aurait fait Walt ?” . Enfin, elles sont entrées dans une ère où la réponse n’était plus évidente (“qu’aurait fait Walt... sur Internet ?”) et la peur les a paralysées. Sur le long terme donc, le refus d’intégrer la fin de l’une des histoires, celle du fondateur, conduit à la même impasse que la divergence brutale des deux histoires en cas de démission. Simplement, on a un peu plus de temps pour y remédier... Ainsi, Disney a pu décliner pendant près de 20 ans jusqu’à l’arrivée de Michael Eisner . C’est une démarche classique du storytelling que de permettre à un nouveau dirigeant de trouver sa place dans la story de l’entreprise, d’en écrire un nouveau chapitre..
Pour se relancer et défricher les nouveaux territoires de la mode, Louis Vuitton a fait appel à un créateur adulé des chroniqueuses de Vogue mais (relativement) moins exhibitionniste que Lagerfeld. Opération réussie même si les équipes de LVMH veillent à ce que Marc Jacobs ne soit “que” l’une des histoires - certes la plus glamour et la plus flamboyante - que raconte la marque au monogramme. En prévision du jour où...


L’histoire de l’homme qu’on a adoré haïr

Le mieux est encore de s’y prendre le plus en amont possible, c’est-à-dire que dans le meilleur des mondes, c’est au fondateur lui-même de réaliser la séparation. On n’est jamais si bien servi que par soi-même... Ainsi, les histoires de Microsoft et de Bill Gates ont longtemps été tellement confondues que le débat autour des pratiques anti-concurrentielles du géant du logiciel ont fait de son patron l’homme le plus haï de son temps. Comprenant le danger, ce dernier a commencé dès l’an 2000 à prendre du champ, à espacer ses apparitions et à laisser à son numéro 2 le soin d’engager sa firme sur de nouveaux chemins. Surtout, en vrai “storyteller”, il a su s’inventer une nouvelle histoire personnelle, celle où après avoir rencontré l’amour, il est devenu le plus grand philanthrope de tous les temps. Bien sûr, il s’agit là d’une légende dorée (sur tranche) que l’on est d’autant moins obligé de prendre au premier degré qu’elle est très visiblement inspirée de celle d’un autre “salaud-devenu-saint”, John Rockefeller . Mais peu importe, tant que ça marche, et que l’annonce en juin 2008 du départ de Bill Gates à la retraite ne provoque plus de réactions passionnelles .


A retenir
Plaquer l’histoire personnelle d’un patron sur celle de son entreprise présente des risques qui peuvent être réduits et gérés. Dans l’absolu, c’est au fondateur de prendre l’initiative de faire cesser la confusion des genres quand elle ne présente plus d’utilité. Mais même en l’absence d’action de sa part, ou après son éviction, le storytelling permet encore d’agir en écrivant une nouvelle story qui intègre dans un contexte plus large les péripéties de ce départ et le chapitre ouvert par le nouveau dirigeant. Bien sûr, on pourrait tout simplement se demander si à l’origine le jeu en vaut la chandelle, s’il ne s’agit pas d’un gros problème d’ego... Mais, ainsi que l’écrivait Karen Blixen , “être une personne, c’est avoir une histoire à raconter” et tant que les dirigeants d’entreprises seront des personnes...


Ecrit par: Sébastien Durand
Posté par: Morgane Craye
Publié sur: levidepoches/marketing
Pour plus d'information cliquez ci-après pour lire le rapport d'innovation "le Storytelling" réalisé par les membres de courts circuits