« introduction À la stratÉgie » par andrÉ beaufre – 11

Par Francois155

Après avoir exposé, dans le chapitre I, une « vue d’ensemble de la stratégie », l’auteur s’attache désormais à explorer trois grands types de stratégie : la stratégie militaire classique, la stratégie atomique et, enfin, la stratégie indirecte. Le chapitre II dont nous allons commencer l’étude revient donc plus en détail sur ce que Beaufre appelle « La stratégie militaire classique ». Voir le plan général de l’ouvrage pour plus de détails.

CHAPITRE II : STRATÉGIE MILITAIRE CLASSIQUE

CARACTÈRE ÉVOLUTIF DE LA STRATÉGIE MILITAIRE

D’emblée, l’auteur s’attache à déboulonner quelques lieux communs qui, pourtant largement admis, nuisent à la bonne compréhension du phénomène et, partant, à son application efficace.

La première fausse évidence voudrait que la stratégie militaire classique soit la mieux connue : « il n’en est rien, car les règles qui la dirigent ont généralement été obscurcies par certains facteurs contemporains dont l’importance avait paru devoir être permanente, alors qu’ils devaient faire place à d’autres facteurs prépondérants ». Le lecteur appréhende ainsi mieux l’intitulé de ce chapitre où le problème sera étudié « en se plaçant surtout du point de vue de l’évolution du phénomène, afin d’en dégager les grandes lignes qui seules permettent d’en comprendre le caractère ». On retrouve ici la volonté de synthèse et d’abstraction qui pousse Beaufre à toujours considérer son sujet d’étude dans sa globalité pour en tirer des conclusions aussi rationnelles que générales.

Seconde idée reçue : puisque, historiquement, « la guerre militaire classique s’est toujours placée dans le cadre de la guerre totale », avec de fortes composantes diplomatique, économique et idéologique, « le rôle des armées a été variable ». S’il a souvent été prépondérant, « il n’a été vraiment décisif que dans certaines périodes favorables et il s’est trouvé réduit dans d’autres occasions à une fonction presque auxiliaire ». En effet, la guerre totale mettant tous les moyens de l’État en œuvre pour parvenir à imposer la volonté de celui-ci, « les forces armées n’ont joué un rôle prépondérant que lorsqu’elles avaient le pouvoir d’entrainer à elles seules la décision » (ce que Beaufre appelle aussi « la décision militaire complète »).

Cette capacité de décision des forces armées a beaucoup varié au cours de l’histoire « en fonction des possibilités opérationnelles du moment qui résultaient de l’armement, de l’équipement, et des méthodes de guerre et de ravitaillement de chacun des partis opposés ». Or, cette variation, cette évolution « a généralement surpris les deux adversaires » qui s’en sont trouvés réduits à tâtonner sans parvenir à déboucher sur une action décisive par la seule force des armes. Certes, quelques génies, et Beaufre cite naturellement Napoléon, ont pu avoir la vision nécessaire qui leur a offert, mais seulement temporairement, jusqu’à ce que ses adversaires s’adaptent en le copiant, la possibilité de vaincre en employant la force armée de manière cruciale.

Donc, « l’un des éléments essentiels de la stratégie militaire classique a-t-il toujours été de comprendre plus vite que l’adversaire les transformations de la guerre et par conséquent d’être en mesure de prévoir l’influence des facteurs nouveaux ».

L’auteur nous rappelle en fait ici l’une des intuitions qu’il avait déjà exposé précédemment : l’histoire de la stratégie militaire est faite de phases, caractérisées par un ensemble de facteurs complexes (« les possibilités opérationnelles »), qui commencent par surprendre les belligérants, habitués aux anciennes recettes, et mènent à des impasses où la force armée se retrouve impuissante à déboucher sur une décision, jusqu’à ce qu’une nouvelle évolution débloque la situation, mais en enfermant à nouveau les contemporains dans l’admiration de nouvelles recettes qui se trouveront elles aussi dépassées dans l’avenir (« les recettes nouvelles qui paraissaient répondre définitivement aux difficultés rencontrées n’ont toujours eu qu’une efficacité éphémère »).

De ces observations, André Beaufre tire un enseignement essentiel pour la correcte appréhension de la meilleure stratégie militaire possible à mener au sein d’une stratégie elle-même totale :

« C’est donc la pleine compréhension du mécanisme de l’évolution du caractère décisif des forces armées qui constitue la clef principale de la stratégie militaire ».