Retour sur une photo

Publié le 16 janvier 2009 par Edgar @edgarpoe
Frédéric en commentaire de mon billet d'hier exprimait l'idée qu'il n'était pas légitime d'utiliser des photos d'enfants blessés pour émouvoir le lecteur, fût-ce pour le gagner à une bonne cause. Avec un argument général selon lequel le débat politique devrait pouvoir se passer d'images.

Il s'agissait de cette photo, que je reproduis pour l'occasion :



J'ai envie d'y revenir un peu longuement, pour plusieurs raisons.

Sur la photo en général, je crois que nous souffrons de ne pas voir assez de bonnes photos d'actualité, et que bien au contraire, le débat politique ne saurait se passer d'images. La culture médiatique contemporaine est toute liée à la recherche de la formule qui va accrocher, de soundbites, des phrases de 15 secondes qui pourront être reprises en boucle. Il ne s'agit plus, aujourd'hui, d'opposer des idées à des images, mais bien des clichés photographiques à des clichés verbaux.

Il y a finalement, dans une bonne photo, plus d'informations que dans ces petites phrases qui s'incrustent quotidiennement dans nos cerveaux ("extirper le Hamas" : comment extirpe-t-on un parti qui est largement majoritaire sans faire beaucoup de dégâts humains, y compris civils ? On ne fait pas, et c'est ce qui est démontré en ce moment. Si on s'était interdit par avance, en Israël, de tels raccourcis linguistiques dignes d'un militaire obtus, peut-être n'en serions-nous pas là.)

Toutes les photos ne sont évidemment pas bonnes, et j'avais en tête, au moment où je mettais la photo ci-dessus en ligne, cette photo illustrant un article de Libération sur Internet, que je trouvais presque ignoble :



Pas d'humains sur cette photo, juste une belle flamme jaune, presque un feu d'artifice. Une image à la CNN (Reuters pour l'occasion), comme on en voit des dizaines en temps de guerre. Des images presque romantiques de la guerre, avec juste quelques obus pour nous rappeler que c'est sérieux, mais pas assez de chair pour que nous en soyons dérangés. Un truc cadré serré, tellement bateau que bien souvent un démenti suit "Veuillez nous excuser, nous avons confondu l'explosion en gros plan de 2007 avec celle de 2009 - strictement identique." Bref, de la merde décorative.

Les photographes qui prennent ces photos sont "embedded", se trouvent autorisés par les officiels, vont là où on leur dit d'aller et font ce qu'on leur dit de faire (je grossis le trait, même là où ils sont, derrière les chars israéliens, ils sont exposés, et ils peuvent parfois percevoir quelque chose de ce qui se passe. Je ne veux pas nier tout mérite à ces reporters photographes, du fond de mon confortable appartement.)

L'image est si gênante pour les militaires que les américains, depuis la guerre du Vietnam, et spécialement en Irak, contrôlent strictement ce qui est publié et prennent soin de ne pas nuire au crédit moral de leur guerre.

Photo de Nik Ut, 8 juin 1972

Certaines images sont donc dérangeantes parce qu'elles amènent une part de vérité que le débat a réussi à occulter, et rien que pour cela elles sont indispensables. L'image de Zoriah Miller en fait partie, elle n'est en rien comparable à de la pâle propagande.

Tout d'abord, Zoriah Miller, photographe américain, a été le seul photographe exclu des photographes autorisés à cotoyer les militaires américains en Irak, ceci pour avoir publié des images de marines morts (reportage après un attentat à Anbar, les images sont dures).

Qui contestera qu'il est important que des photographes montrent que les guerres font des morts ? On risque sinon de s'habituer à la litanie des décomptes abstraits de victimes, jamais vues, loin, ailleurs - en Afghanistan, au Congo, peu importe.

C'était d'ailleurs une idée défendue par James Nachtwey lors d'une conférence passionnante que j'avais traduite ici.

Pour revenir plus précisément à la photo en question, celle d'un enfant palestinien souffrant, elle n'a pas de caractère de propagande rapide.

D'une part, elle a été prise en 2006, et Miller explique qu'il republie ce reportage réalisé dans un hôpital de la bande de Gaza il y adéjà trois années parce qu'Israël lui interdit d'y retourner aujourd'hui.

D'autre part ce n'est pas une photo d'enfant mort, qui illustrerait tout autant une révolte métaphysique contre l'absence de Dieu - à la Camus - qu'elle ne soulignerait la responsabilité d'Israël. Il s'agit d'une photo d'un enfant souffrant, en 2006, dans une période de calme relatif, parce qu'Israël bloque (ou ralentit la fourniture) des médicaments anticancéreux dont il aurait besoin. Cette photo a un pouvoir explicatif de ce qu'est la bande de Gaza, et des responsabilités des uns et des autres. Cette photo nous laisse penser que depuis longtemps, Israël abuse de sa position de force. Et en 2009, elle revient à point nommé.

Comme l'exprimait Olyvier en commentaire, cette photo, comme toutes celles du reportage de Miller de 2006, est prise au coeur de la réserve des peaux-rouges, qui apparaissent effectivement bien démunis. Peut-être Miller abuse-t-il de photos dures, peut-être est-il engagé contre la civilisation occidentale, comme tend à l'écrire cet article de l'American Thinker, toujours est-il qu'il nous donne à voir des situations que la presse occulte trop souvent.

Voilà pourquoi, à mon sens, il ne faut pas reculer à inclure des photos d'enfants qui souffrent du fait d'une guerre, lorsque c'est justifié parce que près de 300 enfants sont morts à Gaza, lorsque cela traduit la disproportion des moyens entre deux camps, lorsque la photo est choisie de la même façon que des mots sont pesés et des informations vérifiées.