ClÉopÂtre

Publié le 24 janvier 2009 par Rl1948

   En décembre dernier, ce visage fit le tour du monde.


   Il constitue en fait le produit de la technologie la plus avancée en images de synthèse. Résultat de nombreux mois de recherches et de tâtonnements, ce visage en 3D, produit par des scientifiques de l’Université de Cambridge sous la direction de l’égyptologue Sally Ann Ashton et basé sur plusieurs documents antiques la représentant, serait donc celui de la reine Cléopâtre, la septième du nom.


   Descendante directe de la famille grecque des Ptolémée qui, après la mort d’Alexandre le Grand, au IVème S. A.J.-C. était montée sur le trône égyptien, fille de Ptolémée XII Neos Dionysos et de Cléopâtre VI Tryphaina, la souveraine la plus "médiatisée" d’Egypte naquit aux environs de 69 A.J.-C.


   Beaucoup de légendes ont couru à son propos. Et que ce soit l’histoire classique (écrite essentiellement par des auteurs grecs et romains), ou la littérature et enfin le cinéma, tous n’ont retenu que le rôle joué par cette reine lagide au moment de sa rencontre avec les rudes généraux romains, César, puis Antoine, notamment. Tous ont volontairement évoqué l’Egypte sur laquelle elle régnait depuis ses 18 ou 19 ans comme une sorte de décor exotique sans grande envergure et servant tout au plus à lui permettre d'avoir les moyens matériels de séduire Rome.


   Ce fut par exemple le cas de Plutarque dont je voudrais aujourd’hui, ami lecteur, vous donner à lire un extrait des célèbres Vies parallèles.
Dans une nouvelle traduction due à Anne-Marie Ozanam, Professeur de Lettres au Lycée Henri-IV, à Paris et sous la direction de François Hartog, Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, les éditions Gallimard ont publié, en novembre 2001, l’ensemble de ces 48 Vies de l’écrivain grec dans leur collection "Quarto" : un volume, pourtant très maniable, de 2296 pages.
   Et dans la recension qu’il fit de cette parution dans Le Monde des Livres du 1er mars 2002, Maurice Sartre écrivit :

   Plutarque, c’est la Bible laïque de l’honnête homme. Et notamment le Plutarque des "Vies parallèles" où s’exposent à la comparaison les exploits, caractères et travers des Grecs et des Romains célèbres.


   Célèbres ? Pas vraiment tous, en fait; mais ils le deviendront à nos yeux grâce au talent de cet écrivain moraliste et philosophe qui eut le génie d’apparier dans chacune de ses études un Grec et un Romain, confrontés tout à la fois au Fatum et à la mort.

   Cléopâtre entre en scène relativement vite dans le récit que nous fait Plutarque de la vie d’Antoine; de sorte que leurs amours relatées auraient tendance à transformer ce qui ne devait être qu’une biographie comme les autres d’un des généraux romains en un véritable récit romanesque : Eros et Thanatos réunis. Pas étonnant, dès lors, qu’il ait inspiré, entre autres, au grand William Shakespeare l’un de ses plus évidents chefs-d’oeuvre, et à Hollywood une de ses productions les plus mythiques !


   Avant de vous faire découvrir un passage de cette vie d’Antoine et de Cléopâtre que nous proposa Plutarque voici un millénaire, je ne puis résister, ami lecteur, à vous citer un très court extrait de la préface à la Vie de Timoléon, que je pourrais très bien reprendre à mon compte à propos de ce blog :


   Lorsque j’ai entrepris d’écrire ces "Vies", c’était pour autrui; mais si je persévère et me complais dans cette tâche, c’est à présent pour moi-même. L’histoire est à mes yeux comme un miroir, à l’aide duquel j’essaie, en quelque sorte, d’embellir ma vie, et de la conformer aux vertus de ces grands hommes. J’ai vraiment l’impression de vivre et d’habiter avec eux : grâce à l’histoire, j’offre l’hospitalité, si l’on peut dire, à chacun d’entre eux tour à tour l’accueillant et le gardant près de moi ...

   Voici donc, à présent, le texte de Plutarque à propos plus spécifiquement de Cléopâtre que je vous destinais aujourd’hui, qu’il faut évidemment plus considérer en tant que texte littéraire que comme un portrait historiquement avéré des deux amants.

 

   ... Tel était donc le caractère d’Antoine. L’amour de Cléopâtre vint mettre le comble à ses maux; il éveilla et déchaîna en lui beaucoup de passions encore cachées et endormies, étouffant et détruisant ce qui, malgré tout, pouvait encore lui rester de bon et de salutaire. Voici comment Antoine fut pris. Au moment d’entreprendre la guerre contre les Parthes, il envoya demander à Cléopâtre de venir à sa rencontre en Cilicie pour se justifier de deux griefs : les sommes importantes qu’elle avait données à Cassius et son alliance avec lui dans la guerre.


   Mais dès que l’envoyé, Dellius, vit la beauté de Cléopâtre et découvrit l’adresse et la subtilité de sa conversation, il comprit aussitôt qu’Antoine ne ferait jamais le moindre mal à une telle femme, et qu’elle aurait beaucoup d’influence sur lui. Il se mit donc à flatter l’Egyptienne et, pour parler comme Homère, il lui conseilla de : "Venir en Cilicie dans ses plus beaux atours", sans redouter Antoine qui était le plus charmant et le plus humain des généraux.


   Elle se laissa convaincre par Dellius et, comme elle avait éprouvé par sa liaison avec César puis avec Cnaeus, le fils de Pompée, le pouvoir de sa beauté, elle se dit qu’il lui serait encore plus facile de séduire Antoine. En effet, elle était encore une toute jeune fille sans expérience des affaires , quand César et Cnaeus l’avaient connue, alors qu'elle allait rencontrer Antoine à l'âge où la beauté des femmes est la plus éclatante et leur intelligence dans toute sa vigueur.

   [Née en 69 A.J.-C., Cléopâtre VII avait donc 28 ans au moment de cette nouvelle idylle].

   Elle prépara donc beaucoup de présents et d'argent et toutes les parures dont pouvait disposer une reine dont la puissance était grande et le royaume florissant. Mais c'était en elle-même et dans ses sortilèges et ses philtres qu'elle plaçait ses plus grandes espérances.
 
   (...) On dit que sa beauté n'était pas, à elle seule, incomparable ni susceptible de fasciner ceux qui la voyaient, mais sa compagnie avait un charme irrésistible et son apparence, jointe à la séduction de sa conversation et à son caractère qui se répandait, si l'on peut dire, dans toute sa manière d'être, laissait un aiguillon dans les coeurs.

   On avait du plaisir à entendre le son de sa voix; sa langue était comme un instrument à plusieurs cordes qu'elle adaptait sans effort au dialecte qu'elle voulait. Il n’y avait que peu de Barbares avec qui elle avait besoin d’un interprète : elle donnait elle-même ses réponses à la plupart d’entre eux, Ethiopiens, Troglodytes, Hébreux, Arabes, Syriens, Mèdes, Parthes ...


   Elle connaissait beaucoup d’autres langues, dit-on, alors que les rois qui l’avaient précédée n’avaient même pas daigné apprendre l’égyptien et que certains ne savaient même pas le macédonien.


    Cléopâtre subjugua totalement Antoine ...
 

(Plutarque : 2001, 1689, sqq)