POLAR: QIU XIAOLONG : "DE SOIE ET DE SANG", Editions Liane Lévy, Points, 2007.

Par Ananda

Ce polar format livre de poche ne ressemble à aucun autre (pourtant, dieu sait si j’en ai lu).

Il est mené avec méticulosité, subtilité et, surtout, profondément pénétré de culture chinoise, ce qui en fait tout l’intérêt.

Le style est enlevé, dynamique, l’intrigue policière solidement ficelée. Cela n’empêche toutefois pas Qiu Xiolong, en qui l’on devine un esprit brillant et extrêmement cultivé, de manier l’art de la digression avec une souplesse, un aisance étonnantes.

Le héros qu’il campe, l’inspecteur Chen, figure très attachante, se trouve être un policier doublé d’un intellectuel, d’un « lettré » dans la plus pure « vieille tradition chinoise ».

Ici, les amateurs d’action, de chocs et de sensations fortes façon « Le silence des agneaux » (et autres) seront passablement déçus. La Chine éternelle est, et demeurera toujours la Chine éternelle.

Ce livre nous fait découvrir mieux qu’une banale intrigue policière : il nous brosse un portrait de la Chine, telle qu’elle est en ce moment-même. Immense pays immuable et secoué par les mutations. Encore marqué par le traumatisme de la Révolution Culturelle.

Observés avec acuité, les Chinois y apparaissent tels qu’en eux-mêmes : secrets, exigeants avec eux-mêmes et perfectionnistes, pénétrés d’un immense respect envers l’étude, superstitieux comme il n’est pas permis de l’être, méfiants à l’égard de ce qui vient de l’étranger, attachés à la figure maternelle, à la famille, aux ancêtres et à l’honneur (que là-bas on appelle « la face »), pudique et affligés d’une certaine misogynie, incapables de s’exprimer autrement que par l’allusion, la citation de maximes et la métaphore (ce qui en fait des poètes nés), gourmets (ils passent autant de temps au restaurant que les Français, si ce n’est plus) au point de cultiver des pratiques culinaires très « tirées par les cheveux » (ainsi, ces " plats cruels" parmi lesquels l’insoutenable « cervelle de singe vivant » ne peut que susciter un franc malaise).

Un mot revient continuellement : le mot « humiliation ». Révélateur.

Comme non moins révélatrices, des phrases telles que : « moins on en dira, mieux ce sera pour tout le monde » ou encore « déconcerté par la brusquerie de la question ».

Au détour de ces pages, nous rencontrons sans cesse les imposantes ombres de Confucius et de Mao, nous mesurons la vigueur de la renaissance du bouddhisme (jusque dans la compassion que manifeste le policier envers le tueur en série, singulièrement humanisé au rebours de la tradition américaine), nous nous souvenons que la Chine est la patrie du jeu de Go.

Ici, ce n’est pas par la force que le bien triomphe, mais par les ressources de l’esprit, par la manœuvre psychologique. On en ressort impressionné par tant de finesse, tant de sagesse (le tout sans la moindre once d’ennui). Impressionné…et, ma foi, guère loin de la fascination.

Ne serait-ce pas finalement une sorte de petit chef d’œuvre que nous avons là ?

Le polar est, paraît-il, un « genre mineur » voué à la simple distraction des masses. Mais, en lisant « De soie et de sang », il acquiert une autre dimension. Il nous fait entrer dans l’âme d’un pays mieux qu’une enquête sociologique.

On se surprend à aimer la Chine, à désirer mieux la connaître.

Remarquable. Remarquable, vraiment.

P.Laranco.