Le phosphore blanc brûle toujours, à l'hôpital de Gaza

Publié le 25 janvier 2009 par Tanjaawi
Les médecins de toutes nationalités dénoncent l'utilisation de cette arme, dont les dommages sont considérables. 22 janvier 2009 - Le web de L'Humanité 12 janvier 2009, hôpital de Rafah - Un jeune palestinien, victime d'un bombardement israélien, est soigné pour de très graves brûlures - Photo : Hatem Omar/MaanImages

L'hôpital Shifa, à Gaza, le principal établissement hospitalier de la ville, a connu des heures pénibles durant l'agression israélienne. Pendant vingtdeux jours, le va-et-vient des ambulances a été incessant. La morgue était pleine. Les chirurgiens palestiniens, épaulés par leurs confrères venus pratiquement de tous les continents, ne quittaient pas les salles d'opération. Les infirmières, le personnel technique et de service se dépensaient sans compter. On n'en est plus là, mais les dégâts humains causés par l'armée israélienne sont tels que cet hôpital est encore surchargé. Ici, c'est le courage qui prévaut car depuis deux ans tout le monde vit enfermé. Même les médecins ne peuvent sortir pour participer à des conférences à l'étranger.

Sans respect pour personne

Israël ne s'est pas embarrassé de questions morales. Les bombardements ont été intensifs, sans respect pour rien ni pour personne. Des familles entières ont été décimées. Des maisons ont été démolies alors que les gens se trouvaient encore à l'intérieur. Aucun endroit n'était à l'abri d'une frappe, dans la bande de Gaza. Même les hôpitaux. Celui d'Al- Qods, dans le quartier de Tal al- Halwa, a été pris pour cible, et une aile a brûlé. Pis, Israël a utilisé des bombes au phosphore blanc, dont l'usage est pourtant prohibé dans les zones civiles. La bombe explose à deux cents mètres d'altitude, projetant en pluie des billes incandescentes de phosphate qui brûlent pendant plusieurs jours.

Le docteur Nafez Abou Shaaban, chef du service des brûlés à l'hôpital Shifa, sort un sac en plastique et l'ouvre. On voit du sable. Il en répand un peu sur le sol. Il y a des morceaux comme du mazout solidifié. Il en brise un. Une odeur horrible se dégage. C'est ce fameux phosphore blanc. « Généralement, lorsqu'un patient présente une brûlure, on sait la soigner, et surtout il n'y a pas de détérioration. Là, non seulement c'était impossible, mais en plus la plaie s'élargissait de plus en plus et, après quelques heures, de la fumée blanche s'en échappait. La seule solution que nous avions, était d'amener le plus rapidement possible le patient en salle d'opération ». Pour le docteur turc Hassan Oz, « on début, on ne voit presque rien, mais plus le temps passe plus la brûlure devient sévère, nécrosée ».

« On aurait dit l'apocalypse »

Dans sa maison du quartier de Tal al-Halwa qu'il a réintégrée il y a trois jours seulement, Salah Al Jamal est assis près de son fils Mahmoud, dix-huit ans. Le jeune homme a été opéré à de multiples endroits, brûlés par ce phosphate blanc. « Le 11 janvier, les Israéliens se sont déchaînés, raconte Salah. Ils nous ont bombardés avec des avions F-16, des hélicoptères Apache, des navires de guerre. On aurait dit l'Apocalypse tellement c'était l'enfer... » Affolée, la famille s'enfuit en courant dans tous les sens.

Mahmoud raconte la suite, d'une voix encore faible. « J'étais vraiment en état de choc. J'ai pris la fuite. J'ai vu un éclat, un feu et puis plus rien. En courant j'ai senti que quelque chose de lourd m'avait touché. Je devenais de plus en plus chaud. C'était comme si j'étais dans un feu. Je suis tombé. Il y avait un gars près de moi. Je l'ai appelé, appelé... mais il ne répondait pas. Il était mort. Ensuite, j'ai perdu connaissance et je ne me souviens de plus rien. » Mahmoud va rester ainsi plusieurs heures. Personne ne peut approcher. Lorsqu'au petit matin Salah apprend par des voisins que Mahmoud est étendu dans un terrain vague, qu'il est peut-être mort. « Ses habits étaient brûlés, se souvient le père. Quand j'ai nettoyé son visage qui était noirci, j'ai aussi été brûlé », ditil en montrant ses doigts couverts de plaies. « Il avait de petites brûlures qui se sont agrandies. On voyait l'os. De la fumée sortait de son corps ». C'est finalement la Croix- Rouge qui a pu le récupérer et l'emmener à l'hôpital.

« Je n'ai jamais vu une telle horreur »

Le médecin algérien Mohammed Abed Khoidmi, qui est resté à l'hôpital Shifa de Gaza pendant toute la guerre, témoigne aussi. « J'ai assisté à de nombreux conflits mais je n'ai jamais vu une telle horreur. » Il s'interroge également sur l'utilisation de certaines armes. « Nous avons opéré beaucoup de blessés qui avaient perdu les deux membres au niveau des genoux. Quatre heures après le début de l'intervention, ils étaient en réanimation mais deux heures après, les plaies s'ouvraient automatiquement et une hémorragie se déclenchait. J'ai également constaté des lésions un peu particulières liées au phosphore blanc. Quand vous coupez la chair, une fumée blanche et nauséabonde se dégage. Quand on ouvre, les organes in- ternes commencent à brûler. C'est le produit chimique qui brûle au contact de l'air. »

Le docteur Abou Shaaban l'avoue : « J'ai peur, maintenant... » Les familles l'appellent sans cesse pour savoir, pour être rassuré. Il est incapable de le faire. « Quelles vont être les complications à long terme ? Les médecins et les infirmiers qui se sont occupés de ces blessés sont-ils en danger ? », demande- t-il. Le médecin français Mohamed Salem, venu de Lille, président de l'association Pal- MedEurope, souligne qu'« on n'avait jamais vu des blessés comme ça ». Il se souvient par exemple d'un jeune de dix-sept ans arrivé pour une blessure au ventre. « Nous pensions que ce n'était pas grave, il n'y avait qu'un petit trou. Quand on lui a ouvert le ventre, on a trouvé pleins de particules noires et rouges au niveau des intestins. On a même trouvé une particule au niveau de l'aorte abdominale et ça a saigné plus tard. Mes collègues n'ont jamais vu ce type de pathologie. » Ce qui semblerait attester de l'utilisation du DIME (Dense Inert Metal Explosion), une arme redoutable dont la particularité est de pénétrer dans le corps et d'être indétectable à la radiographie. Le docteur Salem compte emmener plusieurs enfants palestiniens en France pour y être soignés.

« Besoin de matériel pour opérer »

Le docteur Oz tient à rendre hommage à ses confrères palestiniens, « qui opèrent avec une rapidité surprenante ». Profitant de la présence de la presse, il lance un appel. « Les Palestiniens ont besoin de matériel pour opérer, notamment pour les gastroscopies adultes et pédiatriques. Avec ça on peut arrêter une hémorragie intestinale sinon, et c'est ce qui se fait ici, il faut ouvrir l'abdomen. » Le docteur Abou Shaaban acquiesce. Il demande également une commission d'enquête sur ces armes. « Les Israéliens n'ont aucune morale qui les empêcherait d'utiliser des armes chimiques. Qui les empêcherait ? Les pays occidentaux ? On est seul. On sert de terrain d'expérimentation. »

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