Yûkoku, rites d'amour et de mort : réédition d'un film maudit de Mishima

Publié le 26 janvier 2009 par Orsérie - Le Journal Du Beau & Du Bien-Etre

    Le temps est venu où l’on n’achète plus un dvd pour le film qu’il est censé reproduire, mais pour son appareil critique, son bonus et ses divers compléments.

Les éditeurs qui font assaut d’imagination se distinguent. Avec Yûkoku, Rites d’amour et de mort, de l’écrivain-cinéaste Yukio Mishima, les éditions Montparnasse proposent un superbe coffret (dvd, livre et livret très documenté) qui, s’il présente et explique l’histoire d’une œuvre maudite, n’en peut évidemment percer le mystère.

Bref, voilà un objet multimédia rare et inclassable. Dans tous les sens du terme.

Yûkoku est un film d’une durée de 29 minutes, tourné par l’écrivain Yukio Mishima en 1966. Il raconte le suicide d’un lieutenant de l’armée impériale japonaise, dans sa maison, en compagnie de sa femme qui elle aussi mettra fin à ses jours après l’agonie de son mari.

Film en noir et blanc, sans parole, enveloppé d’une musique wagnérienne, Yûkoku est presque une œuvre maudite : quatre ans après l’avoir tournée, Mishima se donnait la mort dans les circonstances semblables à celles qu’il décrit dans son film.

Il est ici suivi d’une interview exceptionnelle (bien que trop courte) de l’écrivain, réalisée en 1966 par le journaliste français Jean-Claude Courdy, et est accompagné du recueil Patriotisme (dont la nouvelle éponyme est donc présentée dans le dvd) et d’un substantiel livret (écrit par Stéphane Giaocanti) retraçant l’histoire du tournage.


Cet ensemble permet d’approcher une œuvre cinématographique singulière et inclassable qui aurait pu aussi bien finir dans les oubliettes de l’histoire. D’ailleurs on le croyait perdu jusqu’à ce qu’on retrouve miraculeusement une copie en 2005, explique Stéphane Giaocanti dans son introduction.

Yûkoku a ses adeptes. Ce film court (à peine 30 minutes) heurte et fascine. Cruel, grandiose et irradiant, cette espèce de monolithe n’explique rien sur son auteur (en dehors de son narcissisme et de se délectation morose) et se referme sur lui-même. Etrange objet vénéneux et troublant, il hante le spectateur qui cherche à le comprendre. Il est possible d’y trouver des clés dans la tradition japonaise, mais celle-ci, chez Mishima, être déchiré par nature, n’explique pas tout.

Yûkoku se donne à voir, telle une tombe hermétiquement fermée, et ne dévoile rien de son auteur qui un jour de 1970 s’éventrera après avoir fomenté un pathétique coup d’état.


Au lieu d’expliquer, Mishima rajoutait du mystère. On ne le comprend pas davantage en lisant son « autobiographie » ou ironique autoportrait : Confession d’un masque.

Yûkoku, s’il précède de quatre ans l’éventrement rituel, autrement dit le Seppuku, de Mishima, l’un des quelques écrivains modernes japonais les plus célèbres au monde, suit à la trace la trame narrative de la nouvelle, laquelle expose le thème d’emblée : « Le 28 février 1936 (c’est-à-dire le troisième jour de l’Incident du 26 février), le lieutenant Shinji Takeyama du Bataillon des Transports de Konoe - bouleversé d’apprendre que ses plus proches camarades faisaient partie des mutins et indigné à l’idée de voir des troupes impériales attaquer des troupes impériales - prit son sabre d’ordonnance et s’éventra rituellement dans la salle aux huit nattes de sa maison particulière, Résidence Yotsuya, sixième d’Aoba-chô. Sa femme, Reiko, suivit son exemple et se poignarda. La lettre d’adieu du lieutenant tenait en une phrase : Vive l’armée impériale. »

La nouvelle, comme le livre, n’est que le long rapport circonstancié de ce suicide d’un jeune couple marié depuis moins d’un an et qui, avant de périr, jouira une dernière fois, le tout dans un cérémonial sophistiqué, un rituel d’amour et de mort raffiné car unique, par définition. Ainsi Mishima décrit-il ce couple : « Même au lit, ils étaient, l’un et l’autre, sérieux à se faire peur. Au sommet le plus fou de la plus enivrante passion ils gardaient le cœur sévère et pur ».

La scène d’amour de Patriotisme constitue l’un des deux versants de l’oeuvre. L’autre étant bien entendu la scène de mort, exécutée avec le même soin. Mais de même que l’auteur garde distance pour décrire l’acte amoureux, il sera tout aussi froid, bien que tout aussi précis dans ses descriptions pour évoquer la mort : « ...la lame rencontrait l’obstacle des intestins qui s’y emmêlaient et dont l’élasticité la repoussait constamment ; et le lieutenant comprit qu’il faudrait les deux mains pour maintenir la lame enfoncée ; il appuya pour couper par le travers. Mais ce n’était pas aussi facile qu’il l’aurait cru ». Il ne faut sans doute pas voir de fascination morbide, mais davantage une ironique mise à distance de la mort, tenue ici fermement en respect.

Le film est plus qu’une adaptation du livre. C’est une lecture. Une lecture d’autant plus précieuse qu’elle est réalisée par l’auteur lui-même. La lecture d’une oeuvre qui, malgré la richesse de cette édition proposée par les éditions Montparnasse, reste à jamais obscure, troublante et inaccessible à la seule raison.

Crédit image : Tamtambooks

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