Combat de taureaux

Par Julien Peltier


Combat de taureaux
Nouvelles d’un Japon d’après-guerre

« Combat de taureaux » occupe une place à part dans la bibliographie prolixe, puisqu’elle ne compte pas moins de cinquante romans et cent quatre-vingts nouvelles, d’Inoué Yasushi. D’une admirable concision quoique son propos demeure ardu à cerner, cette brève nouvelle d’une centaine de pages, toute de légèreté, place le lecteur au centre des destins croisés de Tsugami, jeune rédacteur en chef d’un journal en vogue d’Osaka, son indécise maîtresse Sakiko et Tashiro, associé roublard et gouailleur. Tel un « koan », ces énigmes poétiques des maîtres zen de jadis invitant leurs disciples à la pensée philosophique, « Combat de taureaux » dépeint un morne Japon d’après-guerre qui erre à la recherche de lui-même.

« Il me semble qu'un homme est bien fou de vouloir qu'un autre le comprenne. »
Cette phrase de l’auteur, issue de Le Fusil de chasse, est au centre de son œuvre, toute entière dominée par la figure de l’homme seul, à jamais incompris, qu’il soit le souverain omnipotent du Loup bleu*, l’ascète résigné du Maître de thé ou, comme ici, jeune patron de presse prometteur incarné par le personnage de Tsugami. Inoué l’écrit lui-même dans la préface de son Combat de taureaux : « On dit qu’avec la maturité les auteurs avancent dans la direction tracée par leurs premiers écrits, règle qui, paraît-il, ne souffre aucune exception. Si cela est vrai, alors (…) Combat de taureaux porte en lui à la fois la maladresse de la jeunesse mais aussi quelque chose de fondamental dont je n’ai jamais pu me libérer ».
Difficile de trouver des métaphores ou un sens profond à ce Combat de taureaux, qui se soldera par un échec retentissant, et a pourtant valu à Inoué la première distinction de sa carrière en 1949, le prestigieux prix Akugatawa, souvent improprement comparé à notre vénérable Goncourt alors que la récompense japonaise est décernée presque exclusivement à de tout jeunes auteurs. Les autres nouvelles du recueil, soigneusement choisies par l’écrivain, semblent parfois supérieures, telles les Roseaux ou Les chemins, empruntes d’une douce nostalgie, qui reviennent sur ses souvenirs d’enfance. Le livre, publié aux éditions Stock, vaut ainsi pour l’éclairage qu’apportent ces écrits fondateurs sur l’œuvre de l’un des plus grands auteurs contemporains nippons, disparu trop tôt en 1991.
Ujisato
* lire la critique du roman
NDLR > Les derniers « Cahiers d’Asie » étaient consacrés aux lauréats du prix Akutagwa, retrouvez très bientôt dans notre rubrique « littérature » les autres chroniques.