Gaza : Ces témoignages qui accusent l’armée israélienne de crimes de guerre

Publié le 27 janvier 2009 par Torapamavoa Torapamavoa Nicolas @torapamavoa

Exécutions sommaires, tirs contre des civils, humiliations. L’armée israélienne est en accusation. Reportage.

(source : http://www.humanite.fr/Ces-temoignages-qui-accusent-l-armee-israelienne-de-crimes-de-guerre)
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Bande de Gaza, Envoyé spécial.

C’est à l’est de Jabaliya. Un grand hameau qui s’appelle Ezbet Abed Rabbo. Peut-être faut-il plutôt écrire « s’appelait ». On est à quelques kilomètres de la frontière avec Israël. On peut d’ailleurs distinguer la ville de Nahal Oz, en contre-bas. Au début de l’offensive terrestre, les chars israéliens ont déboulé. Il ne reste plus que des amas de béton de part et d’autre de la petite route. Et de la souffrance dans les cœurs des habitants. C’est à peine imaginable. C’est un tsunami humain a dit quelqu’un. Le mot est juste. Mais parce qu’il est humain, il est volontaire. Le pouvoir israélien, via son bras armé, a sciemment - c’est à dire politiquement - décidé de détruire et de tuer les Palestiniens. Il ne s’agit plus ni de bavures ni d’effets collatéraux ni de situation de guerre. Lorsque le jour commence à tomber, le décor est encore plus impressionnant. A la lueur des braseros que les Palestiniens allument pour s’éclairer et se chauffer on distingue des formes brutes, agressives. Des cubes renversés et aplatis. De la terre remuée, rendue meuble pour éviter toute nouvelle construction. La carcasse d’une ambulance, visiblement écrasée, raconte toute seule le mépris de la vie et des conventions internationales. Le vent qui souffle fait grelotter. Le froid n’explique pas tout. On se sent soudain seul, écrasé par ce qui vient d’arriver, désarmé devant ces familles décimées, anéanties. La barbarie est de retour. A moins qu’il ne faille avoir une lecture biblique : « Il (dieu, ndlr) détruisit ces villes, toute la plaine et tous les habitants des villes, et les plantes de la terre » (Genèse, chapitre XIX, verset 25).

En mars dernier lors d’une énième incursion dans la bande de Gaza, l’armée israélienne avait fouillé les maisons puis avait continuer son chemin, vers Jabaliya. La famille Abed Rabbo (d’où le nom du lieu), occupait l’ensemble des petits immeubles qui se trouvaient là. Quand l’offensive a commencé, les Abed Rabbo étaient sur leurs gardes, mais pas plus inquiets que ça. Ce qui peut sembler étrange pour qui ne vit pas le quotidien de ces Palestiniens, soumis au bon vouloir des Israéliens. En mars dernier, par exemple, ils avaient fait une incursion dans la bande de Gaza en passant par le hameau. Ils s’étaient contentés d’une fouille des habitations et avaient passé leur chemin. « C’est pourquoi tout le monde pensait que ça allait être la même chose cette fois-ci », explique Khaled, 30 ans. Lui se trouvait avec sa famille au rez-de-chaussée d’un immeuble dans lequel vivaient 27 personnes. Le 7 janvier, en milieu de matinée, les Israéliens sont arrivés. Ils ont installés un poste militaire. Les chars se sont mis en position derrière des buttes de sable alors que par hauts-parleurs ils intimaient l’ordre aux gens de sortir.

« Comme nous habitions au rez-de-chaussée, nous sommes sortis les premiers », raconte Khaled, la voix tremblante. « J’étais avec ma femme, nos trois filles et ma mère. J’avais un drapeau blanc. Sur le char, il y avait deux soldats. L’un mangeait des chips, l’autre du chocolat. On est resté comme ça pendant plus de 5 minutes, alignés. Personne ne nous disait rien. On ne savait pas quoi faire. Soudain un soldat est sorti du char. Il était roux et portait les papillotes des religieux. Il a tiré sur ma petite fille de 2 ans, Amal. Ses intestins sont sortis de son ventre. Puis il a visé en rafale celle de 7 ans, Sohad. Ma femme s’est évanouie. Il a tiré sur ma mère ». Summum du vice chez ce soldat, il n’a pas tué Khaled. Une ambulance se trouvait à proximité. « Ils ont fait descendre le chauffeur puis ont écrasé le véhicule avec un char », soutient Khaled Abed Rabbo. Les deux petites filles, Amal et Sohad, sont mortes. La troisième est grièvement blessée. Avec son frère et sa femme, Khaled les emmène, ainsi que la mère. Ils prennent la route non sans essuyer les tirs de snipers embusqués dans les maisons qui jouaient à leur faire peur en visant à côté. « Au rond-point, un homme a voulu nous aider avec sa carriole. Il s’appelait Hadnan Mekbel. Les Israéliens l’ont tué ainsi que son cheval. » Khaled sort son portable et montre ses filles dans un linceul. La troisième est dans un hôpital en Belgique. Elle est tétraplégique. Sa femme est dans un état de choc psychologique permanent Khaled ne peut pas oublier. Il revient tous les jours devant sa maison détruite. « C’est toute ma vie, mes souvenirs. Je vois mes enfants jouer autour de moi », dit-il. « C’était la maison du bonheur ».

Une maison disparue, brisée par la dynamite israélienne comme le raconte un voisin, Mohamed Abed Rabbo, membre de la famille, qui, lui aussi, a perdu son habitation, en face de celle de Khaled, de l’autre côté de la route. « Les Israéliens ont voulu nous faire évacuer », raconte-t-il. « J’ai tenté de parlementer pour rester mais ils n’ont pas voulu. Ils ont dit qu’ils avaient ordre de faire sauter la maison. » Les soldats ne les ont même pas laissés prendre des affaires. « Ils nous a dit : « Vous partez vers Jabaliya. Si quelque chose tombe, vous ne le ramassez même pas. Vous ne vous retournez même pas. » Encore une réminiscence de la Genèse et de la femme de Loth, transformée en statue de sel, parce qu’elle s’était retournée. Quand ils sont arrivés à l’intersection de la route, ils ont entendu une explosion : leur maison n’était plus qu’un souvenir.

Khaled ne comprend plus rien. « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter un tel sort ? », demande-t-il. « Les Israéliens ont détruit toute ma vie. Pourtant, il ne réclame pas vengeance. Il n’en appelle pas à la loi du Talion. « Je veux que le monde entier juge cet acte, pas moi », assure-t-il. « Je demande la paix pour tout le monde. J’espère que mes enfants seront les derniers morts. Nous sommes un peuple qui aime la vie ».

Salah Abou Alima, 45 ans, aimait aussi la vie. Jusqu’à ce jour terrible où des obus de chars se sont abattus sur sa maison, à Bet Lahiya. Allongée sur son lit à l’hôpital Shifa de Gaza city, elle se souvient de l’apocalypse, de son mari et de son fils de 14 ans décapités, du phosphore blanc qui tombait en billes de feu et qui l’a touché elle aussi, comme nous avons pu le constater. « J’ai vu le corps de mon mari et ceux de mes trois enfants s’enflammer », dit-elle. « Il y avait de la fumée partout. L’odeur était terrible. On suffoquait ». Elle se souvient aussi de son fils Ali, 5 ans, le visage brûlé, qui tentait de s’échapper. « J’ai essayé de m’enfuir avec ma fille de un an qui criait « maman, maman ». Mes vêtements ont commencé à brûler ». Un autre de ses fils, Mahmoud, 21 ans, a tenté de leur venir en aide. Il a sorti les corps morts, les a placés dans une carriole. Il sont partis pour tenter de fuir l’enfer. « Les Israéliens nous ont arrêtés. Ils ont pris les corps, ont creusé un grand trou et les ont jetés dedans. Puis, avec un bulldozer ils les ont recouverts ». Un autre fils, Omar, 18 ans, portait sa petite sœur dans ses bras. « Elle était morte mais il ne le voyait pas. Les Israéliens ont voulu qu’il la laisse alors ils lui ont tiré dans le bras ». C’est ensuite le conducteur du tracteur qui les emmenait qui a été abattu par une autre patrouille israélienne. « Je veux les voir brûler car ils ont brûlé mon cœur », lance Salah Abou Alima à l’encontre des Israéliens. « Mes enfants n’étaient pas des combattants, mon mari non plus. Ma maison n’existe plus. Ils ont tout détruit ».

Il était 6H du matin dans le quartier de Tal al Hawa, de Gaza city. L’offensive militaire était lancée. Les habitants entendent les chars israéliens s’approcher. Comme tout le monde, Tamer Al Khalede, 27 ans, ne dort pas. Il tente de se faire une idée de la situation en écoutant attentivement ce qui se passe dans la rue. « On a entendu crier « ne me tuez » pas. Il y a eu des tirs et puis plus rien ». le jeune homme n’en saura pas plus. Quelque minutes après les soldats entrent dans l’immeuble. « Ils sont venus avec un voisin qui parlait hébreu pour nous dire de descendre dans la rue », précise Tamer. « Les hommes ont du donner leur carte d’identité. Ils nous ensuite mis totalement nus devant les femmes et les enfants ? Ils avaient des chiens qui sont venus nous renifler ». Ils ont ensuite été enfermé dans une pièce pendant 24 heures. « Les Israéliens étaient cachés dans les immeubles et ils tiraient dans la rue. Les ambulances ne pouvaient même pas approcher ». C’est Abou Amir qui accompagnait les soldats, puisqu’il parlait hébreu, dans chaque appartement. « Ils cherchaient s’il y avait encore du monde et en profitaient pour détruire les appareils ménagers, voler les téléphones portables, les ordinateurs, l’argent qu’ils trouvaient, et même les bijoux des femmes ».

Israël peut-il, va-t-il échapper à la justice internationale ? Plus les témoignages se multiplient plus les crimes de guerre apparaissent, monstrueux. Bernard-Henri Lévy, bien calé dans le char israélien qui le transportait - comme il l’a raconté si fièrement - n’a sans doute rien vu. La fenêtre de tir derrière laquelle il se trouvait était trop petite. Un des porte-paroles franco-israélien de l’armée israélienne, le colonel Olivier Rafowitz, qui se répandait complaisamment sur les plateaux de télévision français, va-t-il poursuivre ses activités en toute impunité ? Pour la première fois, les autorités israéliennes semblent s’inquiéter des suites possibles. Des directives ont été données à des officiers de haut-rang pour qu’ils évitent de voyager en Europe où ils pourraient être inculpés. Quant au premier ministre, Ehud Olmert, qui a osé prétendre qu’il pleurait lorsqu’il voyait des enfants morts, il a donné le signal : « Les commandants et les soldats envoyés à Gaza doivent savoir qu’ils seront totalement protégés face à tous les tribunaux et qu’Israël les aidera ». Khaled Abed Rabbo, Salah Abou Alima et Tamer al Khalede, eux, ne veulent que la justice mais toute la justice.

Pierre Barbancey