Si c'en est un

Publié le 27 janvier 2009 par Menear
Fera aussi office de croquis #7
1
Train (aller) : la proximité d'une femme, face côté droit qui ne me rappelle pas Lisa Kimmel Fisher mais qui est Lisa Kimmel Fisher, ressuscitée-alléluia, sortie du ventre de la baleine qui l'avait digérée, un manteau mauve sur le dos, au bras (gauche) d'un banquier crânien et potelé (qui aurait pu croire qu'elle se marierait avec un tel individu, un cétacé lui-même, après la mort qu'elle a eu ?), genou droit agité sec sur sol dur et son alliance par dessus (signe que), menton pris sous son col et foulard couleur lagon calme, avant les premières vagues et la noyade qui découle.
2
La migraine sous-jacente, tapée depuis l'intérieur, qui ne demande qu'à sortir. Je sais bien que je suis à l'abri. Elle n'éclatera pas sous la tempe avant de quitter le boulot. D'abord se frotter les yeux sur l'écran. Il est quinze heures. Encore une heure trente à mélanger les mots et à ne plus savoir répondre aux voix qui s'agitent sous combiné. Encore une heure trente à dire ne vous inquiétez pas, oui tout à fait, frais de port offerts.
3
Les airs d'accordéon sur le quai Z, je ne vois pas le type qui. Je poursuis lentement, très lentement (savoure) les pages de Dans ma maison sous terre. Ses airs me relancent les tempes, la douleur migre doucement vers l'orbite (gauche), plus tard tombée sur le nez et les pommettes autour. Depuis quelques jours je pense à consigner quelque part (carnet ? fichier ? post-it abandonné ?) toutes les visions que je peux avoir et que je crains à l'intérieur, que j'esquive avant qu'elles puissent se produire, fictions quotidiennes d'images demi-paupières. J'appellerais ça Ce qui n'arrive jamais ou bien Livre des peurs primaires (si c'en est un). A l'instant où, cela correspondrait à :
Les notes de l'accordéoniste pénètrent trop loin dans la chair, plus loin le crâne. Ses pieds bouffis longent le quai opposé, aller-retour-aller, son sourire travers affiché aimable. Un peu le huitième nain de blanche-neige égaré en sous-sol, édenté par l'avant. Il joue trop fort, trop près de moi. Je le pousse par dessus le rebord, peut-être avec le pied, la semelle, un coup de rotule gauche-arrière et projeter le nain sous les rails, un dernier accord peut-être comme simple chant du cygne. Peut-être que le train arrive et que le nain craque. Ils m'arrêtent. Me laissent croupir. Retracent le contenu de ma journée sur papier punaisé au liège, accroché au mur. Ils disent : voyez, voyez ça ? Je ne vois rien. Il me demande vous faisiez quoi ? Je lisais. Je leur montre le livre, Dans ma maison sous terre, ils s'intéressent, mais pas assez pour tourner les pages. Peut-être que c'est le livre qui m'a donné l'impulsion, l'envie de mort. Peut-être. Ils vont attaquer Chloé Delaume en justice parce qu'ils le peuvent. Je me dis, pourquoi pas, ça lui fera de la publicité. Et la mienne également. Mais non. Je sens mon pouls pris sous poignet gauche, ça n'arrivera jamais.
4
Train (retour) : cette femme devant, d'accord je ne la connais pas, ni ne reconnais personne à travers elle, mais je me fais la remarque, je punaise une note interne au revers du crâne, cette femme, je me dis, c'est la première femme, la première, qui puisse à la fois projeter par dessus elle des âges aux diamètres opposés, tel que quinze et quarante, par exemple, et je la regarde comme je le pense : une femme de quinze et quarante ans à la fois, l'œil vide et le manteau noir, son duvet chauve sur lèvre supérieure, quinze-quarante, impossible de savoir, impossible, on ne saura pas.
5
Train (plus tard, dans la foulée de) : immobilisée entre deux gares, le conducteur déclare qu'il vaudrait mieux ne pas ouvrir les portes en pleine voie, les râles agacés et les tics nerveux des bras tout contre. Entre un tunnel et un pont, le noir du dehors c'est en fait dedans. Il est possible que, ça se pourrait si, il suffirait de et le wagon explose, une bombe quelque part, le jaune et la suie éclatés sur les murs du tunnel, les corps éparpillés, on s'échangerait les membres. Mais mon pouls toujours pris sous poignet gauche, non, ça n'arrivera jamais.
6
Emmuré chez soi, la migraine dans le noir de la chambre. Le noir ne calme pas, le silence n'apaise rien. Il affine la perception : on se rend plus compte. On sent mieux. La douleur, peu importe, mais l'esprit monopolisé, l'incapacité du sommeil, c'est ce qui gêne, précisément. La solution : l'écran, la couleur de l'écran, un film où l'on pourrait se perdre, léger si possible, marrant si besoin. Puis dormir, dormir plus tôt qu'un autre soir mais ne pas y sacrifier sa soirée, ne pas s'emmurer derrière.
7
On-dit : la date du jour (la date d'hier) consacrée journée de la dépression annuelle, le jour le plus propice à, le plus approprié pour. Moi ce jour, je me suis juste dit et si, j'ai juste essayé de faire taire en moi ce qui rayonnait, j'ai juste fait putain y en a marre, et puis : vivement demain, et tant qu'à faire vivement jeudi.