Ecrans

Par Pandora
Un texte un peu sombre qui sort de mes tiroirs...


Elle regarde sa console Nintendo DS. Noir brillant. Elle se concentre sur la chute hypnotique des pièces de différentes formes qu’il lui faut arranger du mieux qu’elle le peut pour ne pas que le niveau déborde et ne bloque tout. Un jeu de Tétris dans lequel elle se perd, écoutant un peu ce qui se passe autour d’elle. Un peu mais pas vraiment. Plongée dans la réalité de son jeu en fait, oubliant celle qui l’entoure, mais pas complètement.

Il regarde son émission favorite à la télévision, Question pour un champion. Il aime bien, c’est interactif, il essaie de répondre aux questions en même temps que les candidats et souvent, mais pas toujours, il y arrive. Il se dit alors que peut-être s’il s’inscrivait il pourrait lui aussi gagner les encyclopédies… puis vient une question à laquelle il ne sait pas répondre et il se dit qu’il est bien mieux assis sur son fauteuil. Il met la télé un peu fort parce qu’il n’entend pas bien, et il se met près de l’écran parce qu’il ne voit pas très bien. Mais ça lui passe le temps et le début de la soirée, de façon intelligente, une façon de continuer à faire travailler ses neurones. En plus il trouve Julien Lepers tellement sympathique. Un moyen de rester réveillé quand la somnolence commence à vouloir l’emporter, sa tête dodeline alors avant de tomber doucement sur le côté, mais il ne s’endort pas tout à fait encore. Il est trop tôt. Las et pas complètement là.

Elle regarde l’écran de l’ordinateur portable. Blogs, messagerie, commentaires. Le ballet et la balade habituels. Ceux qu’elle fait quand elle est seule chez elle. Mais ici, elle n’est pas chez elle. Et si elle se sent pourtant seule, elle ne l’est pas. Pas complètement.

Trois personnes réunies dans la même pièce mais seules devant leur écran, dans leurs univers

Bien sûr la mère parle parfois derrière sa console DS, elle dit d’ailleurs à sa fille d’un air ironique que ce qu’elle fait a l’air « vraiment » intéressant… Une façon de lui faire remarquer qu’elle n’est plus là bien qu’elle soit venue pour les voir. Tout en continuant toutefois à rester rivée sur son jeu qu’elle emmène partout avec elle…

Bien sûr le père réagit parfois quand on lui pose une question, au bout de trois fois. Ou essaie de communiquer un peu en faisant participer au jeu… « Il est fort ce candidat » ou « Moi j’ai tout de suite trouvé ». Mais il est d’abord et avant tout dans son émission, pas dans la pièce.

Bien sûr la fille parle un peu devant son écran, racontant de petites anecdotes bloguesques, parce qu’elle n’a pas grand chose à raconter de sa vie ou ne souhaite pas parler du peu qu’il s’y passe. Parce qu’elle n’aime pas leur parler de son travail. Ni de sa maladie. Derrière son écran, il y a des gens qui aiment lire ce qui n'intéresse pas ces parents.

Quand elle décidera de partir, parce qu’il fait nuit et qu’il y a une bonne heure de route, ils s’embrasseront et ses parents lui diront que sa visite leur a fait plaisir. Ils lui demanderont quand elle reviendra les voir.... Les voir, oui c’est bien le mot. Voir. Qui a parlé de se parler ?

Et sur la route, dans sa voiture, elle se demandera où est passée la complicité d’antan quand les sujets de conversation ne manquaient pas et que tous étaient plus jeunes. Elle se sentira bien triste comme après chacune de ses visites où elle voit combien ses parents vieillissent sans avoir réussi à leur dire ce qu’elle aimerait pourtant tellement leur dire. A défaut de leur montrer.

Juste qu’elle les aime. Malgré tout.