Georges Guillain/Que ce lieu pour rester

Par Angèle Paoli
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QUE CE LIEU POUR RESTER
                     (EXTRAIT)


Finalement
tu réduis tout
à presque rien

rien cette poudre qui reste
sur les doigts

ce grand savoir dressant dans ton cerveau
ses murs de cave

tu as
de moins en moins besoin
de ce gros projecteur des livres
de coller à la lumière enfin tranquille de cet arbre

sans nom sans âge

le poids voulu d’une forêt
le brun verdâtre de ses fruits

tu fuis
l’étroite nomenclature des choses du passé
dont tu ne cherches pas à fixer les lignes chiffonnées

rapetasser
tout l’être épars

pour en sentir juste l’approche
impalpable sans mots

*

Ainsi
tu n’auras pas à dire

qui tu es

à préciser
qui te manquait ce jour-là à cette heure

tu n’auras pas à dire
s’il s’agissait d’une soirée pluvieuse
où tu avais trop bu

si tu lisais sans voir un poète chinois …

tu n’as plus de mémoire pour ces choses
qui se mêlent pourtant en toi comme toutes les autres

qui font parfois semblant de te connaître
et puis t’éclairent

au fond

sont ta lanterne sourde

*

Voilà
que tu es devenu poreux

ta vie
ton corps
bien près d’éclore

un demi-siècle

que tu es cette chose vivante
à son tour
sur la terre

et ne sait pas toujours quoi
t’emplit
te contient

dont tu parais soudain voûté
craintif
un ton plus bas

et cependant tu sens montant la simple côte
en faisant rouler la pierre
que quelque chose
est là

pour toi

impossible
à dilapider

*

Car
on t’attend quelque part
dans l’enfoui

comme autrefois

tu te souviens
de cette vie profonde sous la pile des linges

que tout était par devant
bien plié le journal sur la table
puis la table dans le jardin

avec du ciel

mais dans un fouillis débonnaire
d’odeurs et de regards
et de sœurs probes qui caressent

aujourd’hui tous ces vivants
jamais rejoints

sont-ils toujours de ta famille

pris ici dans les mots
n’ayant que ce lieu

pour rester

*

Rester
serait-ce donc assez pour eux

de feux
de nœuds
puis d’attirances

d’exacte séduction

ces cœurs d’autrefois qui débordaient d’attentes

le cœur est une roue tournant trop vite sur la route
la vie après qu’elle est passée

la vie

n’a plus assez

de vie

[...]

Georges Guillain, janvier 2000
© Georges Guillain, 2009



GEORGES GUILLAIN

Voir aussi :
- (sur Poezibao) une fiche bio-bibliographique sur Georges Guillain ;
- (sur le site des Découvreurs de Poésie) une autre fiche bio-bibliographique.



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