Réflexions à propos du reportage d’Envoyé spécial consacré au soutien scolaire

Publié le 01 février 2009 par Didierk

Je vous livre quelques réflexions au sujet du reportage d'Envoyé spécial sur le soutien scolaire : "Le soutien scolaire, réussite ou échec ?".

Un certain nombre de ces réflexions ont pour origine des commentaires, réponses à des commentaires,..., de ce blog ainsi que divers fils de discussion des forums de France 2.

Á propos de l'objectivité du reportage

Un des soucis de ce reportage est que c'est justement un reportage télé... Il faut aller vite, s'adresser aux émotions plutôt qu'à la raison, et pour "vendre" insister plus sur ce qui ne marche pas que sur ce qui marche.

Des personnes qui trouvent des cours à donner grâce aux enseignes vivent mal la diffusion de cette émission, craignant qu'elle ne jette l'opprobre sur toute la profession en général et sur eux en particulier.

On peut le comprendre, on peut accuser la télé de tous les maux, mais après tout ce sont bien les enseignes elles-mêmes qui se tirent des balles dans le pied en montrant qu'elles sont prêtes à tout pour vendre, y compris (et surtout) recruter n'importe qui n'importe comment...

Si le malade a de la fièvre, faut-il accuser le thermomètre ?

Les problèmes existent, ce ne sont pas des cas isolés, loin de là, et en tant que professionnel indépendant du soutien scolaire en contact avec de nombreuses familles, j'ai personnellement recueilli plusieurs témoignages qui montrent que les soucis avec les intervenants envoyés (ou jamais envoyés) par les organismes sont fréquents.

  • Un étudiant en licence d'histoire envoyé comme prof de maths en terminale S
  • Un soi-disant "élève ingénieur en grande école" ignorant ce que sont les conventions générateur et récepteur (physique en 1ère S)
  • Un autre "élève ingénieur en grande école" (ou peut-être le même, qui sait...) ignorant ce qu'est une suite numérique (maths en terminale S)
  • Une jeune femme qui a travaillé chez Acadomia comme prof de français niveau collège alors qu'elle était en khâgne (rien à dire), puis a accepté en ayant honte d'être prof de maths en terminale ES...

Ce genre d'émission contribue selon moi à informer les familles que tout n'est pas rose comme dans les pubs des organismes.

Á propos des étudiants envoyés comme profs et de leur recrutement

La plupart des intervenants des organismes sont des étudiants. Est-ce vraiment étonnant ?

Les cours particuliers sont sûrement aussi vieux que l'école elle-même. Traditionnellement donnés par des étudiants, les organismes ne font en fait qu'industrialiser un processus où le paiement au noir était la règle - et est d'ailleurs encore la règle, on estime que 80% des cours particuliers sont payés en espèces par les familles à des étudiants.

Bien sûr, on peut trouver par le biais des organismes des intervenants sérieux qui vont donner toute satisfaction : un étudiant en "vraie" grande école scientifique qui est passé par prépa (par exemple) a un niveau de connaissance en maths et physique au moins égal à celui de la plupart des profs de lycée, et si de plus il est pédagogue et a un peu d'expérience, tout le monde sera satisfait.

Mais on peut aussi trouver des étudiants nettement moins compétents...

Je ne leur jette pas la pierre, ce ne sont pas eux qui sont en cause, c'est la procédure de recrutement !

La demande de soutien scolaire est telle que les organismes recrutent à tout va, le recrutement est confié à des commerciaux payés à la commission qui n'ont pas nécessairement de compétences dans les matières à enseigner, et c'est ainsi que l'on assiste à des dérives telles que celles présentées.

Un autre point soulevé par le reportage est la confusion savamment entretenue par les organismes à propos des appellations "professeurs" ou "enseignants" : ces sociétés vendent des "professeurs expérimentés rigoureusement sélectionnés", et envoient le plus souvent des étudiants. Une famille à laquelle on vend un "professeur expérimenté" s'attend à recevoir un "vrai prof", et non un tout jeune adulte qui peut être à peine plus âgé que son fils ou sa fille !

Á propos du salaire des intervenants

Linda Bendali (qui a réalisé ce reportage) explique en fin d'émission que lorsque la famille paye 30 euros une heure de cours, l'intervenant touche 10 euros.

30 euros, c'est effectivement le prix que paye la famille pour des cours donnés à un collégien habitant une grande ville, donc plutôt le bas de la fourchette, la moyenne se situant plutôt vers 35 euros; et l'intervenant touchera effectivement 10 euros de salaire net.

Comment se répartissent ces 30 euros ?

10 euros : salaire net du prof
6 euros : charges sociales (base dite forfaitaire, les charges sont calculées sur la base du SMIC)
2 euros : TVA (5,5%, loi Borloo sur les services à la personne)

Marge brute pour l'organisme : 12 euros.

Dans le cas d'un cours de maths en terminale pour un élève habitant en dehors d'une grande ville, la famille déboursera disons 40 € et l'intervenant pourra toucher 17,5 euros de salaire net.
La marge brute sera alors de 14 euros.

Si ces niveaux de salaire semblent bien faibles pour les "vrais" profs, en fait, comparé aux petits jobs habituellement occupés par les étudiants (équipiers dans la restauration rapide, distribution de prospectus, enquêteurs,...), le salaire donné n'est somme toute pas si mal... et le boulot plus sympa et moins fatigant.

Á propos des organismes en général

Le reportage a pointé les dérives des grandes enseignes qui se font connaître à grand renfort de publicité.

On assiste à une éclosion champignonesque d'enseignes locales, plutôt axées sur le service à la personne ménager, et qui offrent également des prestations de soutien scolaire, souvent présentées comme "Toutes matières, tous niveaux".

Je me demande si une enquête sur ces officines ne révèlerait pas des pratiques au moins aussi douteuses que celles présentées dans le reportage...

Á propos d'Acadomia

Le chiffre d'affaire de l'exercice 2006-2007 de l'enseigne est de 30,7 millions d'euros. La croissance annuelle de ce dernier étant à deux chiffres (environ 15%), on peut estimer le CA 2007-2008 à 35 millions d'euros.

Le montant du budget communication de l'exercice 2004-2005 était de 4,6 millions d'euros. En appliquant le même ratio, on arrive à un budget d'environ 7 millions d'euros pour l'exercice 2007-2008.

Soit 20% du chiffre d'affaires dépensé en pub.

Complément (6 mars 2009)
Un lecteur a posté ce commentaire que je me permets de reproduire ici - il s'agit d'un courrier que Acadomia a envoyé à ses intervenants.

A l'heure où l'Education Nationale éprouve des difficultés à se réformer et à mettre en place les solutions de soutien scolaire au sein des établissements, France 2 a diffusé jeudi soir un reportage extrêmement sévère sur le soutien scolaire privé et notamment certaines pratiques existant au sein du secteur.

Le reportage visait clairement à discréditer le secteur, les entreprises et les enseignants de soutien scolaire à domicile.

Les milliers de témoignages d'encouragements que nous avons reçus aussi bien de la part de nos enseignants que de nos familles, prouvent que vous avez été, comme nous, particulièrement touchés, par la teneur de ce reportage, très éloignée de la réalité que nous vivons tous au quotidien.

En effet, nous connaissons les étapes de recrutement que vous avez suivies et les qualités du travail accompli par chacun d'entre vous au quotidien. C'est cette qualité de travail et la rigueur avec laquelle nous intervenons tous qui participe chaque jour à la réussite des élèves et fait qu'aujourd'hui Acadomia suit plus de 100 000 familles, partout en France, preuve d'un travail sérieux, reconnu et valorisé par de vrais résultats, fruits du travail de chacun.
Cette réalité est un fait, même si cela parfois dérange.

Nous avons toute confiance en vous, en nous, en notre travail commun, en nos capacités communes à faire réussir chacun des élèves que nous suivons.

Bien cordialement,
Maxime Aiach, Philippe Coléon

Que c'est beau

Á propos de Complétude

Les dirigeants de l'enseigne ont envoyé un courrier à leurs intervenants...

Bonjour,
Vous avez peut-être été affecté(e) tout comme moi hier soir si vous avez regardé le reportage diffusé sur France 2 au sujet des organismes de soutien scolaire en général et plus particulièrement sur les méthodes de recrutement de nos professeurs.
Je tenais, à titre personnel et au nom de toute l'équipe Complétude, à vous renouveler notre confiance et vous faire part de notre reconnaissance quant à la qualité de votre travail.
Bien cordialement,
Hervé Lecat
Président de Complétude

... intervenants que l'on retrouve ensuite sur divers forums clamer leur colère face à ce reportage qui à leurs yeux les déconsidère.

Curieusement, on trouve pas mal de témoignages sur Internet qui tendent à faire penser que Complétude ne recrute que des étudiants.

Simples coïncidences ? Ou volonté affirmée de n'embaucher que des étudiants ?

Á propos de Profadom

Une des séquences montre une maman d'élève téléphonant à Profadom. La commerciale (pardon, la conseillère pédagogique...) en ligne vante la rigoureuse procédure de recrutement.

La maman :
"Et vous faites quoi comme genre de test pour savoir si ils sont aptes à enseigner ?"
La commerciale :
"Ils font un sketch de vente, heu heu non, heu, pas un sketch de vente, heu, comment dire, heu, un sketch de heu..."
La maman :
"Un sketch d'enseignement..."
La commerciale :
"Oui, voila, un sketch d'enseignement..."

Á propos des cours Legendre

Comme Complétude, les dirigeants ont envoyé un courrier à leurs intervenants.

Réaction officielle des Cours Legendre suite à la diffusion jeudi 22 janvier d'un reportage sur le soutien scolaire.

Démenti sur les allégations portées à l'encontre des Cours Legendre

Chère enseignante, Cher enseignant,

Vous avez peut-être suivi le reportage "envoyé spécial" du 22 janvier dernier, consacré au soutien scolaire, qui a vivement critiqué nos procédures de recrutement et, partant, émis des doutes sur les qualités pédagogiques et morales de notre corps enseignant.

Nous démentons formellement et catégoriquement les affirmations de ce reportage et nous dénonçons les méthodes utilisées, les raccourcis, les phrases tronquées et hors contexte, les coupures et surtout l'emploi de comédiens professionnels qui ont abusé de la bonne foi de nos équipes jetant un discrédit sur notre fonctionnement.

A cette occasion, permettez-moi de rappeler que nos critères de recrutement sont les plus exigeants parmi les établissements de soutien scolaire :
- 80% d'enseignants en exercice
- 20 % en préparation du CAPES ou d'étudiants 3ème cycle ayant déjà une expérience avérée du soutien scolaire
- Vérification systématique des diplômes et des casiers judiciaires

Et surtout, recherche d'une satisfaction totale vis-à-vis des familles qui nous font confiance : 98,4% des parents interrogés en 2008 nous ont fait part de leur satisfaction et sont prêts à nous recommander.

Pour éviter de tomber à nouveau dans des pièges comparables, nous ajusterons encore nos procédures dans les semaines qui viennent, avec toujours plus de rigueur, mais en conservant la dimension humaine et pédagogique qui a toujours fait notre force.

Vous avez été très nombreux à nous manifester votre soutien après l'émission. Avec toutes nos équipes, je vous en remercie très sincèrement.
A mon tour, je vous assure de ma totale confiance dans le travail de qualité que vous faites, apprécié à sa juste valeur par les parents et les élèves suivis.

Jour après jour, année après année, nous démontrons ensemble que nous restons guidés par les valeurs de culture, d'instruction et d'éducation.

François LEGENDRE
  • Si l'émission est un tissu de mensonges, pourquoi diable ne pas attaquer en diffamation
  • Si les procédures vont devoir s'ajuster avec "encore plus de rigueur", c'est peut-être qu'il en manquait quand même un peu
  • Si les journalistes sont taxés de "comédiens professionnels", est-ce parce que les cours Legendre estiment que l'étudiante (en fait, une journaliste) à laquelle ils demandent de mentir aux familles en se prétendant enseignante en activité a des prédispositions innées pour jouer la comédie

Bizarrement, on trouve sur les forums des réactions de familles qui défendent les cours Legendre pour ce qui concerne l'enseignement à distance, alors que le reportage n'en parlait pas.

Á propos de KeepSchool

La situation présentée, à savoir une famille qui a payé d'avance des cours et à laquelle l'organisme n'envoie pas d'intervenant car il n'en trouve pas, est très courante - mon confrère Arnaud Glorion raconte cette expérience sur son blog.

La famille finit par se faire rembourser, mais que de temps perdu !

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