Les Seigneurs de la guerre

Par Julien Peltier


Les Seigneurs de la guerre
Les trois frères

En 1870, la Chine est en proie au chaos. Le Général Pang est le seul survivant d’une bataille livrée en faveur de l’empire Qing, l’ultime dynastie impériale chinoise. Accablé, il veut venger la perte de son armée. Dans son errance, Pang rejoint un groupe de bandits, et parvient à en convaincre le chef, Er Hu, qui vient de retrouver son village pillé, de s’engager aux côtés de l’armée Qing. La dévorante ambition de Pang et sa violence grandissante vont mettre en péril toutes les promesses qu’il a faites à ses deux frères de sang : justice, honneur, loyauté et fidélité. Batailles magistrales, casting impeccable et alléchant, scénario dramatique, amour impossible : « Les Seigneurs de la Guerre » est la nouvelle réussite du cinéma chinois.


© ARP Sélection
Présenté comme le plus grand succès de tous les temps en Asie, Les Seigneurs de la guerre est une fresque épique très spectaculaire. Ce film chinois ne compte pas moins de trois des plus grandes vedettes asiatiques de notre temps : Andy Lau (Infernal Affairs), Takeshi Kaneshiro et Jet Li. Et chacun de ces artistes occupe le devant de la scène, sans jamais passer au second plan, au profit d’un autre. Bien que Jet Li soit bien le personnage central, pivot du trio, c’est Takeshi Kaneshiro qui narre l’histoire. Quant à Andy Lau, il tient une place primordiale à compter du milieu du film, un rôle qui fera basculer l’histoire. Ainsi, l’équilibre du scénario tient dans la mise en valeur de ses trois personnages principaux, qui rend crédible leur fraternité. Le spectateur se laisse emporter dans les rapports amicaux ou conflictuels qui rythment le parcours de Pang, Er Hu et Wenxiang.
Si le monde rude des trois soldats séduit, les batailles ne laissent pas non plus indifférent. Le film de Peter Chang n’a lésiné ni sur les moyens numériques et ni sur la figuration, comme il sied aux productions chinoises. Monumentales, les scènes guerrières sont sales. Mais l’une des plus magistrales d’entre elles est si bien décortiquée, qu’on pourrait croire assister à une leçon de stratégie militaire. Au cours d’une scène mémorable, le spectateur en prend plein la vue, et se délecte à suivre et à comprendre les assauts et les évolutions belliqueuses. L’intensité est bien rendue, la douleur, la peur et l’horreur sont palpables.

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Pourtant, si la puissance des combats est éblouissante, le scénario fait preuve des faiblesses classiques du cinéma chinois. Une fois encore, les personnages, certes bien employés face caméra, sont des caricatures des grands principes moraux. L’un est un rancunier, qui sous couvert de rendre la justice, est en fait assoiffé de vengeance ; l’autre est un ancien pillard, sensible aux promesses qu’il fait, un simple brigand arraché à son village et qui n’aspire qu’à y retourner. Le dernier, enfin, est un témoin, impuissant face aux déchirement de la confrérie, mais également attaché au pacte qui le lie aux deux autres. Chacun est un caractère, une morale, une justice, et le film se perd dans cette mélasse de sentiments universels et de raisonnements manichéens. Cependant, malgré cet univers sans demi-mesure, l’atmosphère de l’œuvre ne cesse d’être angoissante, pesante, proche d’un pessimisme rare dans les épopées romanesques de l’Empire du Milieu. Le mal-être taraude, comme si le spectateur se résignait à l’incontournable issue funeste. Il sent bien, tout au long du métrage, que les choix des trois héros n’étaient pas les bons, que la folie rodait dans les yeux de Pang et que ses deux compères ne comprendraient que trop tard jusqu’où cela les mènerait. Et soudain, la dernière demi-heure du film invoque Phèdre, Faust et Roméo. La fatalité étreint les chemins de vie des personnages, l’amour se lie à la mort et le désespoir devient délivrance. Les Seigneurs de la guerre est un puits sans fond, sans lumière au bout de ce tunnel de discorde, de trahison et de folie meurtrière.

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Alors, tout l’intérêt de l’œuvre tiendrait-elle dans ses batailles soigneusement chorégraphiées, et sa dramaturgie digne des grands héros grecs ? Ne nous méprenons pas : Les Seigneurs de la Guerre est surtout un film spectaculaire, jouant sur nos trois frères, des acteurs exemplaires (Jet Li est méconnaissable, Andy Lau est magnifique) et des moments de bravoure qui raviront les amateurs d’action. La grandeur de ce film est dans la possibilité de le lire à différents degrés et d’y voir ce qu’on veut y trouver.
Noah

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En salles actuellement
Réalisé par Peter Chan
Avec Jet Li, Andy Lau, Takeshi Kaneshiro
Durée : 1h 50min.
Année de production : 2006
Titre original :
Tau ming chong