Réponse arménienne

Publié le 02 février 2009 par Memoiredeurope @echternach

J’avais eu l’occasion de signaler, après d’autres, mais finalement pas si nombreux, l’ouverture à signature d’une pétition, venant de la société civile turque, destinée à présenter des excuses aux Arméniens pour la « Grande Catastrophe » : « A l’origine de cette campagne de pardon, un économiste, Ahmet Insel, un professeur de sciences politiques, Baskin Oran, un spécialiste des questions européennes, Cengiz Aktar et un chroniqueur Ali Bayramoglu. »

Depuis la mi-décembre les signatures se sont ajoutées les unes aux autres et une autre pétition est venue répondre à la première. Des personnalités arméniennes ont choisi de s’exprimer. « Elles ont choisi de le faire alors qu’arrive le second anniversaire de la mort de Hrant Dink, journaliste arménien de Turquie, assassiné à Istanbul le 19 janvier 2007. » Je laisse à chacun prendre connaissance du texte, si ce n’est déjà fait. Je relève cependant cet espoir : « Le déni et le mensonge ont fait et continuent à faire le lit de l’extrémisme, générant haine et souffrance. Toute forme de violence doit maintenant appartenir à un passé révolu. Aujourd’hui peut venir le temps de la vérité qui apaise, de la rencontre et du partage.” 

Brice Couturier, producteur à France-Culture, qui avait eu la gentillesse de consacrer toute une émission il y a déjà trois ans aux itinéraires culturels, puis une série de courtes interviews de quelques porteurs de projets, est maintenant responsable d’un programme qui se nomme « Du grain à moudre » et dont j’entends, à une heure de grande écoute (18h30 – 19h15), qu’elle traverse toutes les interrogations géopolitiques de l’heure, et tout particulièrement les interrogations européennes. I

ll avait, avec beaucoup de justesse, réuni ce soir autour de la table : Cengiz Aktar, l’un de premiers signataires turcs, Professeur à Istanbul et auteur d’un ouvrage traduit en français chez Actes Sud en 2004, « Lettres aux turco-sceptiques : la Turquie et l’Union Européenne », Ara Toranian, Directeur du mensuel « Nouvelles d’Arménie » et enfin Michel Marian, membre du Comité de rédaction de la revue Esprit, l’un des signataires de la réponse des Arméniens.

Cette question continue de me toucher. A plus d’un titre. Je l’avais écrit, d’abord en raison de mon admiration pour de grands écrivains turcs et ceci depuis ma première visite en Turquie, il y a trente-cinq ans et du plaisir que j’avais eu de réunir des experts de la soie, sur ces territoires voisins. D’un autre côté, la proposition d’un Itinéraire du Livre par l’Arménie m’a amené à me pencher de plus près sur un pays dont je ne connaissais que la diaspora. A quoi je dois ajouter maintenant ma récente découverte de la République autonome d’Adjara, territoire de la Géorgie qui fait frontière, au bord de la Mer Noire, avec la Turquie, aux confins de l’Arménie et que Staline, en bon Géorgien devenu maître d’une partie du monde, a coincé là en 1921, dès son arrivée au pouvoir. Ceci sous le prétexte de ne pas la laisser revenir à l’Empire ottoman dont elle s’était échappée en 1878 pour se réunir à son pays natal, mais en lui gardant cependant un rapport ambigu  et susceptible de conflits avec celui-ci. On connaît d’autres charcutages de la sorte, à l’opposé de la Mer Noire, en Bessarabie, où le couteau a laissé une blessure dont la cicatrice entre l’Ukraine, la Roumanie et la Moldova ne s’est pas encore refermée, jusqu’aujourd’hui. 

Heureusement, l’été dernier cette République a été relativement protégée par cette situation d’entre-deux pour ne pas être atteinte par l’idée de devoir se rattacher, de gré ou de force, à la Fédération de Russie.

J’avais noté, sans autre commentaire, que les intellectuels turcs n’avaient pas prononcé le terme de génocide, bien que, comme l’avoue Cengiz Aktar, ce soit ce terme qui leur est reproché aujourd’hui sur les centaines de sites qui proclament avec vigueur : Il n’y a pas de raison de s’excuser. C’est pourtant sur ce mot là que le dialogue devra s’établir entre les citoyens des deux pays, sinon entre leurs gouvernements. Mais j’étais frappé du fait que Aktar revient avec insistance sur cette expression de “Grande Catastrophe” dont il rappelle avec raison qu’elle a une origine arménienne et qu’elle met en évidence le fait que ce sont toutes les populations d’Anatolie qui ont souffert de cette convulsion sanglante qui faisait écho, sur le front russe, aux boucheries des tranchées des fronts franco-allemand et anglo-allemand. La catastrophe a, selon lui, condamné ce territoire à long terme, pour ne pas dire, jusqu’à nos jours ! En tout cas il a d’abord condamné la population arménienne.   

De toute manière, ce qui se joue là, dans la possibilité de s’ouvrir l’un à l’autre par les voies de l’expression mondiale virtuelle et de poser dans cet espace immatériel, en dehors de la censure, la notion d’un rapport frontaliertrès matériel, doit venir mettre en avant la question récurrente des mots et des sources et du temps nécessaire à leur confrontation.

France Culture, en prenant ce temps, a aidé à poser ces mots là sur la table. Je suis certain que nous y reviendrons…quand 100.000 signatures, en Turquie, formeront plus qu’une exception.

Brice Couturier, comme d’autres responsables de France Culture, a ouvert un blog. Il n’y est pas très assidu car je crois qu’il préfère la parole, mais je vous le recommande.

Photographie “Le voyage en Arménie” de Robert Guediguian. Le cinéaste est un des signataires de l’appel des Arméniens.