Il n'y a pas d'explication à la mort. Elle entre, elle vous arrête au milieu d'une phrase (A. Burgess)

Publié le 03 février 2009 par Rafaele

Quelle heure était-il ? Je ne m’en souviens plus exactement. Il était tôt ce matin-là. Mercredi, samedi ou dimanche ? Je ne sais plus.

Les volets étaient encore fermés. Il faisait sombre dans le salon. J’avais allumé la télévision et regardais je ne sais quelle émission destinée aux enfants.

Allongé sur le canapé, blotti dans la grosse couverture verte, je laissais les images animées et colorées envahir mon esprit de petit homme.

Soudain une sonnerie stridente vient fendre le doux cocon que je m’étais aménagé : le téléphone sonne et il faut que je réponde. Je me lève, prends le temps d’enfiler mes pantoufles, laisse l’appareil s’époumoner encore une ou deux fois, puis me décide à décrocher le combiné.

- "Allo ?".

- "Oui ?".

- "Rafaele ?".

- "Oui !".

- "C'est ton oncle Grégoire à l'appareil ! Ton père est-il à côté de toi ?".

- "Non !", répondis-je l'esprit un peu troublé par le ton direct de la voix de mon oncle.

- "Rafaele, écoute-bien, ta grand-mère est morte ce matin ! Dès que ton père arrive, demande-lui de venir le plus rapidement possible !".

- "Oui...", ai-je bredouillé.

La voix s’est tue et  a laissé place au « bip bip » si caractéristique. À ce moment précis, le sol aurait pu se dérober sous mes pieds. Je suis resté pantois, la bouche ouverte, l’appareil au bout des doigts. La mort de ma grand-mère, terrible événement pour un enfant qui n’avait jamais côtoyé la mort, était une chose, mais qu’un fils doive annoncer à son père la mort de sa mère en était une autre bien plus cruelle. Déjà, je maudissais cet oncle qui m’avait octroyé en ce matin si doux le rôle du porteur de mauvaises nouvelles. 

Comment faire ? Que dire ? Comment affronter le regard de mon père, sa douleur, sa tristesse ? Autant de questions, d’interrogations qui se pressaient dans ma tête et qui tournoyaient autour de moi comme de noirs corbeaux. Réfléchir. Réfléchir bien et vite ! Comment le peut-on à 12 ans quand on n’a jamais connu la mort ? Impossible. Un enfant de cet âge-là et de cette ignorance-là ne peut pas. Et papa qui doit arriver… qui va arriver ! D’un bond, je saute sur la télévision et tourne le bouton. J’attrape la couverture au passage et file directement, tel un damné, dans ma chambre en empruntant quatre à quatre les marches de l’escalier. Parvenu au sommet des degrés, je m’arrête… Je tends l’oreille et j’écoute. Devant le garage, oui, là, devant le garage, une voiture s’est arrêtée. La voiture de papa. Papa est arrivé. La terrible nouvelle à annoncer. Je ne veux pas ! Je ne veux pas ! Ce n’est pas à moi de le faire ! Je tourne sur moi-même comme une toupie, je ferme les yeux,  je vais me réveiller et rien de tout cela n’aura existé. J’ouvre les yeux… Mon père est au pied de l’escalier.

- "Hé, mon p'tit ! Ça va ?".

- "Papa ! Eva est morte !". 

Ces mots à peine prononcés, mon père avait déjà disparu. Je suis resté seul sur le palier froid et dépourvu de lumière, à demi stupéfait par ce que je venais de révéler, vérité qu’il n’était plus possible de nier et que l’on ne pourrait jamais plus effacer.

Ce jour-là, une part de mon enfance s’est envolée : l’idée de mort s’est imposée à moi dans toute sa violence et, on peut aussi le dire, dans toute sa banalité. Cependant, Je n’y avais pas été préparé et n’aurai jamais imaginé en être un jour le funeste messager.