La guillotine rend tout dérisoire…

Publié le 03 février 2009 par Combatsdh

“Bontems est mort. J’avais vu Bontems aller à sa mort. J’avais vu mourrir un homme que j’avais défendu. Plus jamais je ne pourrais faire quoi que ce soit pour le défendre encore. On ne plaide pas pour un mort. L’avocat d’un mort, c’est un homme qui se souvient, voilà tout.

La guillottine rend tout dérisoire. Il n’y a pas de révision possible, pas de grâce possible, pour le décapité. Je ne pouvais plus rien pour Bontems. C’était la vérité nue, la seule de cette nuit”.

Ces mots poignants de Robert Badinter commencent l’Exécution, le récit de l’affaire Buffet et Bontems publié en 1973 et rédigé peu après leur exécution le 28 novembre 1972 par celui qui n’était alors “qu”un avocat. Et quel avocat!

Bontems était le complice de Claude Buffet durant la prise d’otage d’un surveillant et d’une infirmière à la centrale de Clairvaux. Durant l’assaut, le surveillant et l’infirmière furent égorgés. Badinter a fait reconnaître - en risquant la mesure dissciplinaire en utilisant une expertisé annulée - à faire reconnaître durant le procès que c’était Buffet qui avait commis les deux meurtres. Mais les jurés décidèrent de les condamner tous les deux à la peine de mort.

« On n’exécute pas celui qui n’a pas tué ». La loi du Talion ne fonctionnait pas. Ca n’avait pas de sens

Le fait d’être condamné à mort, pour une personne qui n’avait pas tué, révolta Robert Badinter. Partisan de l’abolition depuis un certain temps, c’est à partir de ce moment-là qu’il devint un farouche partisan de l’abolition de la peine de mort.

Robert Badinter défendait Bontems avec son collègue Philippe Lemaire.

Ils plaidèrent la grâce devant le Président Pompidou. France Soir publia alors un sondage montrant qu’une majorité de français lui était favorable. La grâce fut rejetée. Et l’on vint chercher les condamnés au matin, qui ignoraient alors le sort de leur demande. Les avocats assistèrent à l’exécution.

Je ne connais pas un seul étudiant en droit qui n’a pas envie d’embrasser la profession d’avocat -et même d’avocat pénaliste- après la lecture de ce vibrant récit.

En relisant l’Exécution cette semaine et en voyant l’évolution de l’Université ces temps-ci, je dois avouer que l’inscription au barreau tente bien des enseignants-chercheurs des facultés de droit.

Bien plus que le récit de l’Affaire, Badinter décrit son début de carrière, son entrée dans le métier, son initiation. Lorsqu’il rencontre le rapporteur, désigné par l’ordre, pour examiner son dossier et son installation, celui-ci lui demande, constatant qu’il n’a ni relations dans les affaires, ni fortune personnelle, ni amis dans le barreau, ni patron en vue, lui demande:

“Mais dans ces conditions, Monsieur Badinter, pourquoi voulez-vous devenir avocat?”.

C’était là - et elle l’est toujours - la question essentielle.

Comme lui expliquera son patron, Henry Torrès, qui l’initiera aux règles du métier de pénalistes, “Plaider, c’est bander. Convaincre, c’est jouir”...

L’Exécution est aussi un plaidoyer contre le fonctionnement de l’administration pénitentiaire et le milieu carcéral. Il abolira d’ailleurs les Quartiers de haute sécurité comme Garde des Sceaux. A l’heure où le Contrôleur général des lieux de privation de liberté rend des recommandations critiques, on voit à quel point Badinter est visionnaire et avant-gardiste dans les combats pour les droits de l’homme.

On voit aussi au fil du récit comment s’échafaude une stratégie de défense dans un procès d’Assisses - à en faire palir Maître Eolas!

Mais évidemment l’essentiel c’est LE combat de la vie de Robert Badinter contre la peine de mort.

Comme l’écrit Jules :

“La lecture de l’exécution est un choc. Ce genre d’expérience dont on se souvient toujours ; et qui, de temps à autres, remonte en bouffées glacées le long de l’échine. Pour le juriste — ou l’apprenti juriste — déjà modelé par les séductions abstraites de la technique, c’est un vertige. Et la source d’une angoisse profonde qui colle à son métier de futur d’avocat, de juge ou de procureur.”

Dans le premier épisode de l’Abolition diffusé par France 2, on retrouvait en filigrane le récit de l’Exécution avec l’affaire Buffet et Bontems dans une version maheureusement surjouée aussi bien pour Charles Berling dans le rôle de Badinter que par Depardieu dans le rôle de Torrès.

Elisabeth Bandinter, philosophe, grande féministe, est quant à elle reléguée dans le rôle de femme au foyer aimante…C’est dire…

Ce soir, on suivra l’affaire Patrick Henry et le chemin triomphal vers l’aboliition en 1981

Sur le site de l’INA on retrouve un extrait de son vibrant discours à l’Assemblée le 17 septembre 2001

  • V. Robert Badinter sur wikipédia
  • V. l’Exécution sur wikipédia
  • repéré par Jules , dans les archives de l’INA, quelques minutes d’un entretien de Bernard Pivot avec Robert Badinter sur l‘Exécution.