Paso Doble n°118 : Péan et Kouchner, les Rois maudits

Publié le 04 février 2009 par Toreador

Pourquoi Kouchner est puni par là où il a péché

Chevalier blanc contre chevalier blanc, tel pourrait être résumé l’affrontement par livres et interviews interposés de Pierre Péan et Bernard Kouchner. Dans les Rois maudits, il est dit qu’Edouard II d’Angleterre fut puni par là où il avait péché, avec un tison ardent plongé dans ses entrailles. Il en est de même pour notre ministre des affaires étrangères, qui n’est pas sodomite pour un sou, mais qui a en ce moment, -comme on dit vulgairement- le feu au cul.

Peut-être s’époumonera-t-il, comme naguère Jacques de Molay, grand maître des Templiers, faussement accusé lui aussi de sodomie, et placé sur un bûcherPape Péan, juge inique et cruel bourreau (…) avant un an, je vous ajourne à comparaître au tribunal de l’Histoire. Soyez maudits, vous et votre descendance jusqu’à la treizième génération!”


Traître à son camp, Kouchner est désormais trahi par les siens, qui sont les premiers à brûler ce qu’ils avaient autrefois adoré. Hérault (Héros ?) de la morale, Bernard Kouchner se voit confronté à un travail de sape exercé sur ce qui fait le socle de sa légitimité : les grands principes, la conscience universelle, les droits de l’Homme.

Péan le dit d’ailleurs : à priori, Kouchner n’a pas agi dans l’illégalité. Il n’y a pas là de favoritisme ou de prise illégale d’intérêts, ni une quelconque  affaire de pot-de-vin, ce qui n’empêchera pas les contempteurs de Kouchner de faire des amalgames.

Kant a les mains pures, mais Kant n’a pas de mains…

Le journaliste n’invoque pas le droit positif pour traîner Kouchner au tribunal de l’histoire, mais le droit naturel, la morale. Les actions de Kouchner sont légales mais illégitimes défend l’écrivain qui explique sa base d’accusation «sous l’angle de l’éthique et de la morale républicaine».

La défense de Bernard Kouchner cherche à recadrer désespérément le débat sur une base inattaquable, celle du respect des lois : “J’ai toujours agi dans la légalité et la transparence, déclaré mes revenus, payé mes impôts» dit le ministre. «Je ne dis pas le contraire», explique l’auteur de l’ouvrage. «Je ne parle à aucun moment d’entrer dans l’illégalité, mais de la distorsion entre deux images Selon Pierre Péan, il s’agit de montrer l’ambiguïté entre l’image de «chevalier blanc» qu’ont les Français de Bernard Kouchner et celle qui est traitée dans Le Monde selon K.

Bernard Kouchner se voit ainsi reprocher la même chose que ce que jadis il invoquait, lui qui faisait fi du droit des Nations au nom de principes supérieurs Nous ne respections la souveraineté des Etats que lorsque ces derniers respectaient les droits de l’Homme”.

Péan lave plus blanc que blanc

On touche ici à un problème (dé)ontologique. C’est tout le problème d’une argumentation basée sur la légitimité des actes, plutôt que leur légalité. La légitimité est subjective. Dans le monde de Péan, Kouchner a trahi ses convictions en gagnant de l’argent versé par des dictateurs africains. Pour Monsieur K, il n’y a rien de mal à accepter un travail sous-tarifé pour aider les pays africains à moderniser leurs systèmes de santé.

Pierre Péan a pris le beau rôle, lui qui fait commerce depuis des années du déboulonnage des “grandes figures morales” en montrant la nature, par définition grise, de l’âme humaine. Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre !

On lui reprochera sans doute de livrer en spectacle à la comédie humaine des vilénies qui ne sont peut-être pas aussi monstrueuses qu’il le dit, de s’attaquer à des âmes gris clair et pas aux âmes gris foncé, et de participer au désenchantement (gratuit) du monde. Toute société a besoin d’exemplarité, et souffre lorsqu’elle découvre que le monde n’est pas en noir et blanc.

Personnellement, ma sympathie va plutôt à l’homme d’action qu’à l’homme d’investigation. D’une part, l’un a consacré sa vie à des causes, et cette grande oeuvre vaut bien qu’on l’absolve de quelques écarts. Même Soeur Emmanuelle et l’Abbé Pierre en ont eu, et ils avaient Dieu pour eux au conseil d’administration. D’autre part, les lapidations des individus au nom de grands principes intangibles me rappellent trop Robespierre ou Saint-Just.

Voilà pourquoi le titre du livre est mal choisi, tant on en apprend plus sur la vision de Pierre Péan de notre époque que sur les péchés de Bernard Kouchner. Il aurait dû s’appeler “Le Monde selon P.”.

Image - Olivier Roller.