Le spectacle paresseux de la parole politique

Publié le 07 février 2009 par Vogelsong @Vogelsong

La parole politique est en passe d’être sanctifiée. Le monde médiatico-politique montre à chaque fois sa puissance, dès qu’il s’agit de capter l’attention de la population. Le constat est accablant, face au magistère de la parole s’agglutine une population de plus en plus captive. Ce dispositif est une supercherie. Tout le monde le sait, le voit, le pressent. Personne ne moufte.

Le gouvernement décide totalement du spectacle qu’il va proposer. Tout est mis en œuvre pour assurer la victoire du fort.
Dans la réalisation, c’est le pouvoir qui est maître du temps. Il convoque les médias et le peuple. C’est dans cette verticalité que se noue le dialogue entre les citoyens et ses dirigeants. Magnifique renversement de situation qui ne suscite aucune controverse. Pourtant, c’est le responsable élu du peuple qui devrait être sommé de rendre des comptes au moment décidé par ce dernier. C’est l’inverse qui a lieu. À une demande urgente, telle des manifestations monstres appuyées par une large majorité de la population, l’exécutif se donne le temps de la communication. Il dispose du laps nécessaire au “recalibrage” des doléances. En effet, face à la demande explicite de l’abandon d’une politique sociale ravageuse et inéquitable, la communication gouvernementale dispose d’un temps choisi pour transformer ce message clair en inquiétude diffuse. Une fois le terrain préparé, le décorum posé ; le spectacle peut commencer.

Partant du principe que le travail de journaliste intervieweur ne se borne ni au passage de plat ni au questionnement tiédasse, il est tout à fait concevable qu’il puisse faire, au moins pour un temps, office d’”adversaire” pugnace grâce à des questions pointues et précises. Or, c’est un grand classique en France, le pouvoir choisit ses journalistes. Soigneusement triés parmi un cheptel de caudataires de longue date. On prépare une opposition tendre, amorphe, didactique. À ce petit jeu, les faire-valoir sont pléthore. Et les grands médias en regorgent. Le favori incontesté de tous les puissants est A.Duhamel. Une assurance tout risque en interviewe. Quand le prince bafouille, il intervient, rattrape le malheureux chancelant. Quand le sujet est trop brûlant, il change de cap. Toujours attentif, jamais il n’abandonne son maître. Le dispositif d’accompagnement est normalement épicé par un trublion inoffensif qui feint des questions pièges. Mais l’encadrement est rigoureux. On laisse docilement le seigneur répondre à côté, sans jamais réitérer. Les questions ne sont jamais fondamentalement déstabilisantes. Et A.Duhamel veille.

Sur le fond, c’est l’agonie de la pensée. Incrusté dans un format télévisuel ne dépassant jamais quatre-vingt-dix minutes, on simule des explications concernant des problèmes cruciaux qui nécessiteraient mille fois la durée octroyée. Les intervenants abordent les aspects sociaux, économiques, internationaux, sanitaires dans une sidérante promptitude. Tout le monde y trouve son compte. L’interviewer feint l’omniscience sur tous les dossiers. Il est alors compétent ; jugé comme tel. On sait qu’un orateur chevronné peut dire en vingt-cinq minutes ce qui en prend normalement trois. Les journalistes bachotent paisiblement leurs sujets sans le risque de passer pour des nigauds.
Des empêcheurs d’interviewer en rond émettent l’hypothèse d’échanges politique ouverts, sans temps imparti. On y traiterait des problèmes jusqu’au fond et même au-delà. La seule objection à ce type de programme est la paresse journalistique et la communication gouvernementale. À l’aise dans la connivence et les œillades, on se cantonne à donner la sensation du Politique.

Quand l’écran s’éteint, tout le monde rentre chez soi heureux du travail accompli. On a comblé du vide, entendu quelques annonces qui feront du papier pour le lendemain. Les génuflecteurs non conviés pourront aussi faire leur part de pédagogie sur les ondes. Tandis que certains grincheux ivres de jalousie rongent leur frein. Les places sont chères, les “meilleurs” seront sélectionnés pour la prochaine ronde. Étant entendu qu’A.Duhamel sera là. Immanquablement.

La parole politique se résume à une mascarade prédigérée dont les protagonistes planifient le déroulement. Les millions de spectateurs attendent inconsciemment un moment qui ne viendra jamais. La fulgurance d’un instant de vérité. Celle qui renverse tout, qui fait que le voile se lève, que le monde change.

La plupart des journalistes des pays anglo-saxons rêvent de se “payer” un ministre. Pas en France.

Vogelsong - 6 février 2009 - Paris