Nouvel article 61-1 de la Constitution : la loi organique se fait attendre… Par Cédric ROULHAC

Publié le 09 février 2009 par Combatsdh

Issu du travail effectué par le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République, l’article 29 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 constitue le cœur de la réforme, en introduisant dans la Constitution l’article 61-1 rédigé comme suit :

« Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article ».

Le Comité Balladur, reprenant largement les projets de 1990 et 1993 auxquels le Sénat s’était opposé, a donc mis en place un mécanisme de question préjudicielle portant sur la constitutionnalité des lois. Toutefois, l’article 46 I de la loi constitutionnelle vient préciser que les dispositions de l’article 61-1 « entrent en vigueur dans les conditions fixées par les lois organiques nécessaires à leur application ».Dans l’attente de la loi organique, et comme l’a rappelé le Conseil d’Etat dans trois arrêts de section du 11 décembre 2008 Association de défense des droits des militaires (n°307405, 307403 et 306962. Voir le billet ici ), les dispositions dudit article demeurent inapplicables. Les requérants ne pouvaient donc en l’espèce invoquer un moyen tiré de la contrariété de l’article L 4121 du Code de la défense aux dispositions du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui garantissent la liberté d’association (PFRLR cf. CC 1971 Liberté d’association) et la liberté syndicale (1)

Analyse de M2 Droits de l’homme et doctorants du CREDOF

Cédric ROULHAC est aussi chargé d’enseignement à l’Université d’Evry-Val-d’Essonne

Retrouvez cette analyse sur le site droits-libertés

L’instauration, symboliquement forte, de ce dispositif laisse en outre subsister des interrogations en ce qui concerne les obligations pesant sur les juridictions ordinaires. Celles-ci devront-elles saisir leur juridiction suprême, qu’il s’agisse de la Cour de cassation ou du Conseil d’Etat, en cas de « simple doute », de « doute sérieux » sur la constitutionnalité ou bien encore lorsqu’il est fait état, en demande ou en défense, d’un « moyen sérieux de nature à mettre en cause la constitutionnalité de la disposition législative en cause » ? (2)

Le législateur organique devra donc préciser la condition de fond qui conduira la juridiction ordinaire à saisir sa juridiction suprême.  De même, la juridiction suprême pourra-t-elle elle-même déclarer la disposition législative contraire à la Constitution comme le laisse penser l’article 61-1 et l’emploi du verbe pouvoir ? Ou bien devront-elles nécessairement transmettre la question comme semble le prévoir l’article 62 nouveau qui ne fait allusion qu’à l’abrogation de dispositions législatives par le Conseil constitutionnel? Le mécanisme de « double filtrage », finalement retenu pour éviter un éventuel engorgement du Conseil, nécessite donc quelques précisions de la part du législateur organique, sauf à vouloir laisser une large marge de manœuvre aux juges, appelés de façon inéluctable à jouer un grand rôle au sein de ce mécanisme.

De même le législateur fixera-t-il des délais d’examen à l’égard des juridictions suprêmes ou du Conseil constitutionnel, pour ne pas s’attirer les foudres de la Cour européenne des droits de l’homme qui veille à ce que soit respecté un délai raisonnable (3). Le garde des sceaux avait annoncé devant l’Assemblée nationale, au cours de la 2e séance du 29 mai 2008 que la loi organique fixerait un délai de trois mois aux juridictions suprêmes pour se prononcer (4). Reste donc à encadrer le délai imparti au Conseil constitutionnel.

A ces incertitudes peuvent être ajoutées les interrogations relatives aux moyens pour les justiciables de contester les refus opposés par les juges du fond (statuant en premier ressort) de transmettre des questions de constitutionnalité. D’autres plus précises concernent la possibilité en matière pénale pour les juridictions d’instruction ou la Cour d’assises, compte tenu de leur composition, de soulever une question de constitutionnalité.

On peut donc aisément comprendre les attentes suscitées par la loi organique. Si la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois fait l’unanimité ou presque (5), nombreux sont les auteurs qui émettent des doutes quant à l’efficacité du contrôle tel qu’organisé par la loi constitutionnelle et attendent avec impatience la loi organique qui viendra en préciser la mise en œuvre.

Chercheurs, magistrats, avocats et citoyens devront pourtant encore patienter. Le projet de loi organique relatif à l’article 61-1 nouveau de la Constitution ne figure toujours pas à l’ordre du jour  de l’Assemblée nationale pour le mois de février…

 

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1) “Irrecevabilité de la requête d’une association de défense des intérêts professionnels des militaires”, AJDA 2009, p.148, chron. Sophie-Justine Liéber et Damien Botteghi.

2) Paul Cassia, “Le renvoi préjudiciel en appréciation de constitutionnalité, une « question » d’actualité ?”, RFDA 2008, p.877

3) Bertrand de Lamy, “Brèves propositions sur la question préjudicielle de constitutionnalité en attendant la loi organique”, Recueil Dalloz 2009, p.177

4) http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2007-2008/20080175.asp

5) Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel entre le 9 mars 2004 et le 3 mars 2007, s’est toujours opposé à la mise en place d’un tel contrôle.