Pourquoi une grève ?

Publié le 10 février 2009 par Lepanoptique

Morceaux choisis du très beau billet Pourquoi une grève ? où un chercheur explique ses motivations à la fois pour faire ce métier et pour refuser le projet de décret proposé par le gouvernement:

Il n’est pas de mon rôle de dire pourquoi chacun est venu, pourquoi chacun a voté. Je peux au moins dire pourquoi je m’y associe. J’ai 45 ans, suis Professeur d’université, je suis universitaire. Je fais un métier qui pour beaucoup se limite à enseigner quelques heures par semaine. Sa réalité est la suivante.

J’ai participé cette année à une douzaine de soutenances de thèse, j’aurai présenté au doctorat deux de mes étudiants avec lesquels je partage depuis plusieurs années tous les affres de la recherche – identifier un problème, le formuler théoriquement et trouver le terrain juste qui permette d’en démontrer les propositions, mes collègues m’ont confié la tâche d’évaluer une vingtaine d’articles, je participe à deux ou trois ateliers doctoraux, j’ai donné une dizaine de conférences auprès de publics d’entreprise, fait signer un accord en Indonésie, participé à trois où quatre conférences internationales. Dans les avions je lis les articles que je n’ai pas encore lu, je ne compte plus les réunions avec des partenaires possibles pour lancer de nouveaux terrains d’enquêtes, conseiller des actions, j’ai lancé un programme de Master, dont j’assure en grande partie le secrétariat – dans nos universités les secrétaires sont rares ! Je ne compte pas les jurys de soutenance de mémoire où l’on s’assure que les maîtres de stage soient présents pour assurer de l’emploi à nos étudiants, par ailleurs depuis peu j’ai accepté d’être l’adjoint du Doyen de ma Faculté pour stimuler les échanges internationaux, des programmes Erasmus et d’autres encore, un double diplôme avec une Université allemande, celle de Mayence, un programme de développement d’un cours à distance avec L’université d’Essex, celle de Budapest une autre à Wismar, accessoirement je participe à un groupe de travail sur la communication de l’UFR. Quoi d’autre ? Maintenir des cours sur ce blog, les donner en réalité bien au-delà de la charge prescrite ( j’assure environ 350 heures d’enseignement quand la charge prescrite est de 128H), assumer la correction des examens, recevoir les étudiants, et écrire, quand même, encore. J’aurais eu le plaisir avec un excellent collègue d’être un des rares français publiés dans une revue américaine de premier rang dans ma spécialité.

(…)

Et l’on dit qu’il est nécessaire de nous évaluer ? Par qui ? Des agences d’état qui doutent de leurs critères dans le confort de la bureaucratie quand de manière quotidienne nous sommes livrés à la compétition. Pourquoi m’invite-t-on à évaluer tel papier, à participer à tel jury, à prononcer telle conférence ? Car dans les réseaux étroits de notre monde professionnel nous construisons chaque jour le capital de notre réputation.

Notre métier c’est de faire grandir les gens, nos étudiants, nos disciplines, nos collègues, nos partenaires, nos institutions. Notre seul capital est celui de la connaissance que nous forgeons, que nous accumulons, que nous formalisons, et que nous livrons sans frais à qui nous la demande.

Nos cours sont ouverts, nos écrits sont libres de droit, nous sommes libres de ce que nous pensons, et c’est notre principale motivation, un privilège même, la liberté de pensée dans l’obligation de penser juste. Pour certains d’entre nous penser, c’est penser les limites du monde et ouvrir à la société des champs nouveaux.

Nous n’y réussissons pas tous, dans cette entreprise la chance est un facteur dominant, c’est pourquoi nous ne demandons pas à être payé pour nos résultats.

Nous demandons la liberté, l’indépendance, quitte à refuser la richesse.

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Comment peut-on penser qu’en déchargeant les plus brillants de leur cours, leur savoir puisse se transmettre et se diffuser ? Comment peut-on penser qu’en alourdissant la charge d’enseignement des moins chanceux on puisse garantir que le savoir qu’ils transmettent est un savoir juste ? Comment pense-t-on honorer cette belle profession en y instituant le ver de la jalousie ?