Une voix en tercets de vers libres qui passent parfois à deux vers ou quatre vers, pour claudiquer un peu avant de retrouver l’allure d’une séquence de trois vers, ou bien, de l’intérieur, butent sur une coupe comme un caillou dans la chaussure (« c’est dire certains jours/ il fera / froid, toujours »). Aucune hausse de ton, un lent dépliement de langue-linceul pour enrober l’ombre et permettre de reposer : qu’enfin « après deux ans / ce vide commence / à me dire qu’il est ».
Une voix posée, dans la violence du deuil, mais engagée dans son mouvement de mots pour prendre distance, inclure le vide dans vivre : « on pourrait croire quand on est mort / qu’on n’est pas mort dans la mémoire / et pourtant si, dans la mémoire aussi ». Ce qui touche dans cette écriture, c’est qu’elle avance à-vif, sans blindage. Son risque, elle l’assume : « il reste dans nos bras ballants des gestes inachevés ».
Difficile de distinguer dans cette voix ce qui tient de la plainte humaine et de l’élaboration poétique, du chant. Comme s’il n’y avait pas, ou très peu, de recul : « Étonnée, aujourd’hui, de voir / qu’elle est toujours bien là / la douleur ». Car il n’y a pas de sagesse acquise, globale, même en fin de trajet ; tout juste des balises, très loin d’une sorte de morale bâtie en force, plutôt des points d’ancrage qui restent dans un monde flottant : « il faut parfois que / quelqu’un d’autre donne // les bonnes raisons de vivre / qu’on ne trouve pas / tout seul ».
On peut discuter des fonctions de la poésie, elles sont aussi diverses que les esthétiques, mais j’aime que le poème me ramène avec sa pauvreté de voix nue (ce qui ne veut pas dire sans style) à une expérience directe, profonde, en quelque sorte au bord de vivre : « un silence / à la place de tous les mots / ce choix ».
Contribution d’Antoine Emaz
Camille Loivier
Il est nuit
Tarabuste, 2009
152 pages - 13 €