Gaston-Paul Effa : Nous, enfants de la tradition

Publié le 08 décembre 2008 par Gangoueus @lareus


En découvrant les premières pages de ce roman, on a droit à un spectacle effarant. Un ingénieur africain travaillant en France, parfaitement rémunéré est mis à la porte de son foyer. Le motif est le suivant : Notre homme envoie l’essentiel de ses revenus à ses parents restés en Afrique, délaissant la famille qu’il a bâti et laissant à la charge de sa femme la gestion du quotidien en Hexagone. Ce qui pourrait être choquant pour un lecteur non averti, c’est la posture surprenante de notre ingénieur pour qui les intérêts du clan sont beaucoup plus importants que ceux de sa propre famille. Gaston-Paul Effa pose son affaire sans détour et laisse prendre l’effet de surprise. Je serai pourtant hypocrite si je laissais entendre que c’est un phénomène que je découvre. La tradition selon le romancier a parlé et elle est sauve :
Dans ce soir illuminé par l’ardeur du charbon, on m’avait baptisé, on avait dit d’impérissables choses, on m’avait dicté ma voie. Je devais nourrir les hommes. Tout le monde pouvait mourir autour de moi, ma femme pouvait me quitter, mes enfants aussi, l’essentiel est que la tradition reste sauve. Page 102

C’est de la chambre d’un foyer pour travailleurs (Sonacotra) qu’Osélé commence son introspection. Entre l’Alsace et son clan fang. Il est l’aîné de 33 enfants. Il a été intronisé chef de famille lors d’une cérémonie s’inscrivant dans la tradition animiste la plus pure. Il sera Osele. L’âne. Qui subvient aux besoins de la famille, du clan. On pourrait penser qu’il y a une pointe ironique dans cette désignation, dans ce baptême païen qui condamne notre personnage à porter le lourd fardeau du groupe. C’est connu, un âne ne rechigne pas, il avance sans se poser de question, docile, malléable à souhait. C’est l’occasion pour l’auteur de remonter dans l’enfance du personnage, décrire le contexte culturel dans lequel il s’est construit, dans un premier temps dans une société clanique fang, puis à l’école des prêtres, loin de ses bases. L’occasion également de décortiquer les relations complexes, hypocrites qui le lient au clan qui tente de lui extraire des fonds sous n’importe quel prétexte.
Le regard d’Osélé se fait de plus en plus scrutateur sur son entourage, sur la tradition dont il se sent l’otage. Tradition. Le mot est lâché. Le mot qui, personnellement me dérange. Car enfin, quelle tradition en Afrique subsaharienne et patrilinéaire encouragerait un individu à délaisser totalement sa progéniture au profit de la famille élargie ? Peut-on trouver de telles situations chez nos grands parents ? Les locataires du foyer Sonacotra qu’il fréquente sont des fervents partisans du mandat Western Union, car sans eux qu’adviendra-t-il de leur famille? Cette forme de solidarité des émigrants en direction de la terre d’origine relève-t-elle de la tradition ancienne ou au contraire d’une économie parallèle qui supplante les carences des systèmes politiques tropicaux qui peinent à fournir du travail à des millions d’africains? Par contre, il me semble intéressant de voir comment certains ressorts culturels sont usités comme de parfaits moyens de pression. Et sur ce plan, Gaston-Paul Effa fait parfaitement remonter les vieilles superstitions, les phrases, ou tout simplement le chantage affectif qui étouffent Osélé. Je vous conseille de lire cet ouvrage afin de suivre le parcours d’Osélé. D’autant que la langue de Gaston-Paul Effa se fait, au fil des pages, de plus en plus belle et elle prend parfois une forme poétique :
Ecoutez l’écrivain animiste parler de cette croyance :
Je crois toujours à la magie des sortilèges. Tous les objets ont trouvé un sens nouveau pour moi. Je ne regarde plus un caillou sans penser qu’il est chargé de l’histoire de tous les pieds qui l’ont foulé. Le vent qui souffle est empli de visages, de rencontres d’haleines. L’oiseau qui chante me raconte l’existence des fleurs, des feuilles, des fruits. Chaque battement d’aile porte le rythme de mon cœur. La main que je touche me transmet la possibilité de l’autre. Page 140

Je me suis retrouvé entrain de ralentir le rythme de ma lecture afin de mieux apprécier les mots, le cheminement de la pensée de l’auteur. Une très belle réflexion sur la liberté de faire ou de ne pas faire.


Gaston-Paul Effa, Nous, enfants de la tradition,
Edition Anne Carrière, 1ère parution 2008, 164 pages

Quelques critiques intéressantes de cet ouvrage : Wodka, La plume culturelle