"La ballade de Baby" de Heather O'Neill

Par Orsérie - Le Journal Du Beau & Du Bien-Etre


   

Décidément, j’ai beaucoup de chance en ce moment en matière de lecture. Car après "L’insoutenable légèreté de l’être", c’est au tour de "La Ballade de Baby" de me chambouler.

L’héroïne éponyme de ce roman, Baby, est une extraordinaire petite fille de 12 ans. Elle vit à Montréal et tente de grandir comme elle peut malgré un père-enfant, Jules, aimant mais incapable de lui procurer un foyer digne de ce nom. Junkie totalement irresponsable, Jules traîne Baby d’hôtels en appartements délabrés, dans les quartiers les plus pauvres et mal famés de la ville, royaume des drogués et des prostitués. Et pourtant, on envie cette petite fille est son père malgré le misérabilisme de leur vie. Tout simplement parce qu’ils s’aiment et qu’ils savent faire de chaque instant un rêve éveillé. Les deux voient le quotidien avec des yeux d’enfants et c’est ce qu’on leur envie.

Puis, livrée à elle-même, la jeune fille oscille entre l’enfance et le monde des adultes, grandissant plus vite qu’elle ne l’aurait dû sans jamais perdre pourtant la magie du monde enfantin. Une spirale qui va aspirer Baby vers des expériences de plus en plus extrême à mesure que son père s’enfonce dans la drogue. Baby côtoie alors des drogués et des prostitués sans se poser de questions et garde un regard innocent sur la vie qui l’entoure.

Baby rêve de retrouver le monde dans lequel elle vivait avant, un monde ou elle pouvait s’amuser avec les autres enfants sans craindre personne, un monde ou elle était encore naïve et innocente, un monde ou on pouvait lire de la joie dans ses yeux plutôt que rien. Il faut lire "La Ballade de Baby" avec un cœur d’enfant, se laisser attendrir et enchanter, ne surtout pas se retenir de rire, laisser les larmes venir.

Lors de son premier séjour en famille d’accueil, Baby constate qu’on dort mieux dans une maison bien rangée où l’on n’est pas réveillé en pleine nuit pour éponger une inondation dans la cuisine. Mais qu’on ne rêve jamais si bien que dans un appartement en pétard, en compagnie d’un père qui porte les vêtements qu’il a subtilisés dans la malle d’objets trouvés de l’école de sa fille.
Lorsque le roman s’ouvre, Baby n’a pas encore conscience de ne porter que des « T-shirt avec un coq qui fait de la publicité pour un restaurant chinois du centre-ville » ou « des tennis qui ont l’air des godasses d’une personne assassinée et repêchée dans un lac ». Tout occupée à escalader les bosses de la vie, elle n’a pas vu que dans son dos la porte du paradis de l’enfance s’était entrouverte... Et pourtant, elle va devoir la prendre, cette porte, quand Jules, devenu paranoïaque suite à une cure de désintoxication, la rejette. Elle cherche alors désespérément quelqu’un d’autre à qui appartenir. Alphonse, un jeune proxénète coiffé de dreadlocks impressionnantes, a de l’amour à revendre et de bonnes choses à manger dans son réfrigérateur...

Alors que d’ordinaire, on est triste d’abandonner les personnages que l’on a aimés découvrir pendant des centaines de pages, ici, on se sent soulagé de laisser Baby et Jules, en proie à une toute nouvelle jolie vie.

C’est ainsi que l’on peut envisager Baby comme l’archétype de ces artistes qui aspirent à « regarder toute la vie avec des yeux d’enfant ».

C’est l’histoire de Baby, une môme des villes qui grandit trop vite et comme elle peut dans un environnement hostile et solitaire. Il y a bien Jules, son père intermittent, trop gamin pour lui assurer la stabilité d’un foyer et trop junky pour la protéger des dangers du dehors. A chaque rechute, ils déménagent, d’hôtels borgnes en appartements miteux, dans les quartiers les plus sombres de Montréal. Alors, quand la lumière s’éteint, Baby essaie de s’inventer. Mais c’est dur dans la rue d’éviter les pièges pour une gamine de douze ans parce que " les autres essaient sans cesse de vous arracher à l’enfance à coups de pied ". Volontaire et résistante, Baby ne veut surtout pas passer de l’autre côté, pourtant, en toute innocence, elle va se laisser aspirer vers des expériences de plus en plus extrêmes. La Ballade de Baby est une méditation sensible sur le royaume de l’enfance, le pouvoir de l’esprit et la part de liberté que chacun porte en soi.

"La ballade de Baby" de Heather O’Neill - Ed. 10/18 - 13 euros

Prochaine lecture : "Le Fait du prince" d’Amélie Nothomb