Paso Doble n°119 : Nicolas, un oeil noir te regarde

Publié le 18 février 2009 par Toreador

A las cinco de la tarde…

Le (guade) loupé

Avec son premier mort, le conflit de Guadeloupe vient de changer d’échelle, et avec lui la crise politique française toute entière. Ce qui était jusqu’ici un conflit social mal géré devient un état d’insurrection qui échappe à tout le monde, y compris au LKP. Car si la victime est bel et bien un syndicaliste, le bourreau n’est pas, comme le prédisait Elie Domota « l’Etat colonial venu casser du nègre » (si je résume deux expressions du leader du LKP), mais de jeunes manifestants qui tenaient un barrage sur la route. Trois policiers qui étaient intervenus pour lui porter secours ont été légèrement blessés.

En d’autres termes, le premier mort de Guadeloupe aura été causé par les émeutiers eux-mêmes. 15 commerces pillés, 7 établissements incendiés, 21 véhicules brûlés, 13 interpellations et une soixantaine d’interventions de pompiers : ceci n’est pas seulement le symptôme d’un malaise social, mais plutôt le signe que le conflit est devenu le défouloir de minorités agissantes.

Pretium Doloris

En changeant d’échelle, le conflit devient désormais beaucoup plus difficile à résoudre. Jusqu’ici, il s’agissait de négociations sur des paramètres techniques : 200 euros ou 150 euros de prime ? quelle revalorisation des bas-salaires ? Un sujet de conférence économique. 

Désormais, quelqu’un a perdu la vie, ce qui signifie que le prix du sang est aussi dans la balance : les manifestants ne peuvent qu’être incités à demander plus, ne serait-ce que pour pouvoir rentrer un jour à la maison sans se dire que tous ces sacrifices n’ont pas été vains. Et trente pièces d’argent n’y suffiront pas.

La solution politique va donc devenir de moins en moins technique ou logique, car il va falloir aussi acquitter le coût de la douleur, le pretium doloris. Et plus le conflit s’éternisera, plus le dédommagement attendu augmentera, plus la sortie de crise « par le haut » se compliquera.

C’est ce qu’on appelle en théorie de l’engagement le « piège abscons » (Beauvois et Joule).  « Seuls les actes nous engagent. Nous ne sommes donc pas engagés par nos idées, ou par nos sentiments, mais par nos conduites effectives ». De fait, si nous tergiversons souvent avant de prendre une décision, pesant patiemment le pour et le contre, une fois la décision prise et transformée en une conduite effective, nous aurons toujours tendance à ne plus la remettre en cause. Et à rationaliser cet acte, à le justifier même si l’on a parfois au fond de nous le sentiment diffus de s’être trompé ou d’avoir été trompé.En effet, le coût psychologique du retour en arrière fige démesurément le comportement.  

Sur la table de Nicolas Sarkozy, il ne reste désormais plus beaucoup d’armes. Il faut faire redescendre la pression. Je pense donc que la solution locale passerait par une dissolution du conseil régional et du conseil général de Guadeloupe, jumelée avec un référendum sur le statut de l’île : territoire français à part entière, indépendance, ou autonomie plus substantielle avec retrait français. Mieux vaut le « piège à cons » de mai 68 que le piège abscons de février 2009. 

Il faut dramatiser, et surtout redémocratiser une question qui est aujourd’hui débattue en coulisses et dans la rue. Il faut forcer ceux qui taxent Paris de politique néo-coloniale à « sortir du bois » et à se confronter à l’opinion. Il faut donner la parole à la majorité silencieuse et mettre les Guadeloupéens devant leurs responsabilités : oui, il est inadmissible que certaines rentes de situation perdurent sur le dos de la population et les lois de la République sont faites pour être appliquées. Mais on ne saurait accepter des procès d’intention et des mouvements d’émeute

Descendre dans l’Arène

Au plan national, la marge de manoeuvre de Nicolas Sarkozy se réduit.

La Guadeloupe n’est pas seulement un problème d’outre-mer. N’oublions pas que le mai 67 guadeloupéen préfigura le mai 68 métropolitain.

Il va lui falloir frapper un grand coup pour desserrer l’étau, entre le plantage guadeloupéen, l’échec des réformes éducatives, et les tensions sociales sur fond de crise. Son gouvernement est composé de ministres à bout de souffle, décrédibilisés ou illégitimes. Il ne peut plus attendre les élections européennes. 

Si l’on raisonnait in abastracto, la solution logique serait de dissoudre l’Assemblée Nationale et de jumeler là encore les élections législatives avec un référendum sur l’avenir de l’Education nationale et de la Recherche. Hélas, le quinquennat a justement été soit disant inventé pour empêcher la cohabitation et le spectre de 1997 hante encore la scène politique française. Or, un référendum seul conduirait irrémédiablement à la défaite du président, ne serait-ce que par la coalition arithmétique des « non ».

Voilà pourquoi Sarkozy, lui qui a toujours invoqué l’éthique de responsabilité, devrait changer le gouvernement et le Premier ministre, et engager sa propre responsabilité dans un référendum sur les réformes en cours. Ce n’est pas le panier garni de mesurettes annoncées ce jour qui va améliorer durablement la situation. Sarkozy se demande peut être s’il doit virer Jego et Pecresse en juin prochain : c’est une erreur. La crise politique a déjà dépassé ce stade – on en est quasiment au stade de la survie du gouvernement, dernier fusible de l’Elysée.

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