Feuilleton : La révolution numérique en marche dans la BD (épisode 9)

Par Manuel Picaud
Déjà le neuvième épisode du feuilleton sur le développement du numérique dans le monde du 9e art. Voici un extrait de l’interview de Bruno Bonnell, propriétaire et directeur du magazine BoDoï sur ces projets dans le numérique. Cet entretien a été réalisé peu après l'annonce de la "suspension" de la parution papier du magazine. Son intérêt est de montrer comment ce sujet est évolutif. Et cela aura une suite.

Quelle est donc votre stratégie ?
La stratégie générale est très simple. L’actualité et l’information du monde de la BD va se trouver sur le site web Bodoi.com. Et on trouvera de façon soit bimestrielle soit trimestrielle des formats plus orientés sur des thématiques sous une forme papier. Dans le détail, le site Bodoi ne va pas s’arrêter là et n’être qu’un site d’informations comme il y en a beaucoup sur le marché. Le site va vouloir présenter une sorte de référence, de choses qui seront présentés à Angoulême, notamment en terme de base de données et d’informations, et surtout va proposer d’expérimenter la lecture de bande dessinée en ligne, sur PC, sur MAC ou sur mobile. Nous ambitionnons de proposer une véritable offre de BD en ligne. La stratégie éditoriale du magazine ne va pas beaucoup changer. Des informations avec des professionnels qui donnent des avis, font des critiques… La deuxième partie du vaisseau est de donner l’occasion de découvrir de jeunes auteurs ou de lire des bandes dessinées plus traditionnelles sur Bodoi.com.

En lecture libre ou payante ?
Il n’y a aucune raison que ces albums soient en lecture libre. Ce sera au choix des politiques marketing des éditeurs partenaires. Si certains veulent nous donner des albums en lecture libre, nous serons ravis. Si des auteurs veulent se faire découvrir, on sera également ravis pour les consommateurs. Mais la logique est économique. Il n’y a aucune raison que l’on reste sur Internet dans une logique de gratuité. Certes, les sites pirates pullulent. Mais il faut entrer dans une démarche économique avec paiement des droits d’auteurs aux auteurs, d’éditeurs aux éditeurs et donc que tout le monde trouve une réelle légitimité à utiliser ce support. Car aujourd’hui le jeu consiste à dire qu’on trouve tout sur Internet. Moi, j’invite le lecteur lambda à aller sur Internet et essayer de tout trouver. C’est un peu un chemin de croix… On trouve mais ce n’est pas la même expérience. Des possibilités innovantes en matière de service - que je ne peux pas encore vous dire aujourd’hui – vont voir le jour sur Bodoi.com. En clair ce ne sera pas que de la lecture de BD simple. C’est un forum où les gens pourront aussi s’exprimer, dialoguer et éventuellement se faire connaître. Un peu comme pour la musique. Un auteur peut diffuser gratuitement sa musique sur myspace.com par exemple ou se faire référencer sur des sites payants. On offrira cette même double possibilité d’avoir de la BD gratuite ou payante.
Votre ambition est de créer un vrai modèle économique de BD en ligne.
En effet, j’espère qu’on va y arriver. Pour cela il y a plein de contraintes. Il faut trouver des players qui soient satisfaisants pour la lecture en ligne – il y a un peu de technologie à développer. Je m’intéresse à ce sujet depuis très longtemps. J’ai bien conscience que la lecture sur écran n’est pas la même chose que la lecture sur papier. Si c’est pour lire de la BD en PDF, les gens peuvent aller sur n’importe quel site pirate. Il y a un pari technologique à trouver pour que ce soit au contraire convivial, simple à utiliser et agréable à lire. Et après il y a des contraintes économiques à régler car il faut trouver un certain nombre de partenaires. BoDoï ne prétend pas vouloir faire cela seul. Et enfin il y a une mise en forme à mettre en œuvre. Et c’est pour cela qu’on a mis en suspens le magazine pour que les journalistes puissent se concentrer à l’édition digitale de BoDoï. En gros, on passait 20% de notre temps sur le digital qui est notre avenir et 80% sur le papier qui est notre passé. J’ai donc renversé la tendance. Ça surprend un peu. En général, quand un journal ne marche pas bien, on le ferme. Là, BoDoï n’est pas du tout fermé. Allison [Reber, rédactrice en chef de BoDoï, ndlr) continue de gérer la politique éditoriale info indépendamment de moi.
Pour le moment, mis à part quelques strips de Ma Vie de Wouf, prépublication des éditions Paquet, le projet a pour le moins pris du retard. Même le numéro spécial annoncé pour Angoulême est définitivement passé à la trappe. La semaine prochaine seront présentés des points de vue d’auteurs, d’éditeurs, de lecteurs et des libraires, sans omettre les imprimeurs et les diffuseurs. Toute la chaine risque en effet d’être impactée par cette révolution numérique...