Monologue

Publié le 25 février 2009 par Antigone

...les gosses là, ils croyaient que c'était rien...une blague...ils avaient tout fait pour piéger leur mère...même qu'ils auraient pas dû, c'était pas drôle...se cacher, comme ça...plusieurs nuits, dans le refuge, là-haut...faire croire qu'ils étaient perdus...morts peut-être...tout ça pour la faire blêmir de peur la pauvre femme, lui faire tourner ses sangs...tout ça parce qu'ils étaient furieux contre elle...tout ça parce qu'elle ne les lâchait pas...pas le droit de faire ci ou ça...le droit de rien...c'est pas comme ça qu'on élève de grands gaillards de quinze ans...mais elle ne le savait pas, la mère...que ça se retournerait contre elle un jour, cette manie de leur coller aux basques... toujours...de vouloir tout savoir...Et t'étais où ? Et pourquoi tu rentres si tard ? Et avec qui tu parlais, dis, tout à l'heure ? Et as-tu pensé à la nettoyer l'étable ?...et patati et patata...jamais en paix...à croire que le manque d'homme ça avait fini par la rendre hargneuse, la mère...ils ont eu marre, les gosses, de l'avoir sur leur dos tout le temps...ils se sont dit, on va lui faire une blague...sûrement...on va se cacher...ils pouvaient pas savoir...ils ont pas pu la voir courir dans la montagne, ses jupes dans les ronces, les pierres...se pencher au dessus des failles...mais moi je l'ai vu...on aurait dit une folle...vrai, une hystérique qu'elle était...ça a duré dix jours...elle mangeait plus, elle se lavait plus, elle courait dans la montagne, elle cherchait leur corps...sûr que si les gosses ils étaient rentrés deux jours avant, on aurait évité des drames...c'était pas drôle, cette idée, juste pour faire bouillir le sang de leur mère, de se cacher...quand on les a vu sur le chemin, avec leurs têtes de grands gamins pris en faute...y'en a certains qu'on eu envie de leur donner des calottes, aux gosses..des vrais...à leur démonter la tête...mais y'avait un truc de sûr aussi, c'est qu'à ce moment là, personne n'avait envie d'être à leur place...alors les mains, elles sont restées où elles étaient...la baffe, ils allaient l'avoir quand même, bientôt, et celle-ci elle allait leur faire mal...vraiment...bien plus que de ramener du sang dans leur cerveau de gamins sans cervelle...ils auraient pas dû les gosses...c'était pas drôle...

...pas plus drôle que la fois où l'autre gamine, là, elle a éparpillé son corps aux quatre coins du champ, coincé dans la machine de son père...pas drôle du tout...ces gosses, ils pensent à rien...ils pensent que la vie, ça s'arrête pas...pourtant, y'en a plein les journaux de leurs conneries...mais non...il faut qu'ils continuent de jouer avec...bon, la gamine elle savait pas lire...mais ça explique pas tout...on leur dit "il faut pas faire, mais écoute, écoute donc !" et ils font...juste le truc qu'on leur a dit de pas faire...et après, y'a plus qu'à leur répondre "j'te l'avais bien dit"...mais ça sert à quoi, ça...combien ils ont été à se casser une jambe, tiens, sur le gros rocher là-bas derrière, le rocher en forme de cheval...combien...allez, des dizaines ?...et ça les calme...quoi...un mois ?...oh, à peine...et après ils recommencent, et ils sont encore plus nombreux...et ça rigole, fort...je les entends d'ici...ça rigole...et paf...y'en a un autre qui tombe, un qui voulait montrer aux filles, j'suppose, qu'il sait sauter lui aussi, le plus loin possible...les gosses, ils croient pas que les jambes ça casse...c'est comme ça...ils sont tout neufs...enfin, si c'est juste une jambe, ça va...on en fait pas un drame, hein...mais y'en a un, une fois, c'est la tête qu'a cogné...les parents, ils ont voulu mettre un panneau après, près du rocher du cheval...un panneau avec des signes dessus...pour que les gosses, savez, qu'ils sachent lire ou pas, ils comprennent...le panneau, je sais pas...je ne l'ai jamais vu...pas sûr qu'il y soit.

© Les écrits d'Antigone - 2009

Un texte écrit dans le cadre d'un stage d'écriture animé par Emmanuelle Pagano, ou comment imaginer les dialogues du vieil Ukalo, personnage de sa nouvelle, Le guide automatique, publiée à la Librairie Olympique en 2008.