“No logo” vs “Jalouse” : execice de littérature comparée

Publié le 26 février 2009 par Magda

Naomi Klein (en haut), auteur de “No logo”, et le magazine Jalouse (en bas)

D’un côté,  No logo, publié à l’âge tendre de vingt-neuf ans (en 1999) par Naomi Klein, célèbre activiste américaine qui a rejoint et inspiré tout à la fois le mouvement altermondialiste. Ou comment notre monde ne produit plus que de l’image de marque au lieu de produire des objets, au détriment des droits de l’homme (sweatshops, travail des enfants, etc.) et du choix culturel (uniformisation des goûts imposée).

De l’autre, Jalouse, magazine féminin branché, à l’âme très parisienne, revendiquant une mode pointue et un attachement profond à l’art contemporain, au cinéma d’art et d’essai, à la musique hors-normes… et une sorte de conscience politique de gauche.

LIEU D’ACHAT

No logo : à la Hune, lors d’une déambulation dans Saint-Germain des Prés avec Martin, juste avant de boucler mes bagages pour Berlin.

Jalouse : dans un kiosque à journaux, en face d’un magasin de fringues hyper branché où je n’aurais pu entrer, faute de picaillons.

RAISONS DE L’ACHAT

No logo : après avoir lu un article très intéressant sur Naomi Klein dans le Courrier International, je me suis dit que cela faisait dix ans que je voulais lire ce best-seller brûlot qui, de loin, allait bien avec mes convictions.

Jalouse : après une journée épuisante à faire un boulot de merde, je me suis dit que j’avais envie de voir de belles photos de belles fringues, et de me tenir au courant de l’actualité culturelle française, parce qu’une touche de snobisme infime fait toujours du bien.

CONDITIONS DE LECTURE

No logo : dans l’avion, coincée entre une une étudiante en arts plastiques et une poupée parfumée de 50 ans. Au bout d’une cinquantaine de pages, prise dans ma lecture, j’en oublie d’aller récupérer ma valise.

Jalouse : à cinq heures du matin, prise d’une insomnie, dans mon appart berlinois. Au bout de quinze minutes, je dormais.

CONTENU INTELLECTUEL

No logo : analyse fine et puissante du concept de branding développé par les industries occidentales.

Jalouse : analyse fine et puissante du concept du port des boots à franges avec un legging à la soirée Vodka Absolut Prout Prout.

STYLE LITTERAIRE

No logo : romancé, personnel, et documenté, en colère mais pas virulent. Presque un polar doublé d’un blog de journaliste. Les anglicismes y sont l’expression d’un système économique malade : sweatshop, branding, globalisation.

Jalouse : intello-modeux (sauf pour Baptiste Pégy, qui tient de petites chroniques culturelles, et qui écrit sans chichis). Les anglicisimes y sont l’expression d’une mini-élite française qui n’a pas trouvé de mots pour une culture qu’elle s’approprie mal, au lieu de se battre pour défendre la sienne propre. L’absence de choix culturel dû à la mondialisation des tendances, des goûts et des savoirs dont parle Naomi Klein trouve ici sa preuve éclatante : tacky, nerds, waif, hip.

FEMINISME

No logo : chez Naomi Klein, le féminisme, c’est tout simplement faire ce qu’elle fait, sans en rajouter. Prendre la parole sur des sujets généralement étudiés par des hommes (il faut bien le dire), vendre des millions d’exemplaires de son livre sans rechercher le succès narcissique, mais la diffusion des idées. En plus, elle est belle, loin du cliché de l’Américaine activiste poilue.

Jalouse : pour le magazine, les droits des femmes semblent complètement acquis dans notre monde occidental. Donc, on n’en parle jamais. Tout ce qu’on revendique, c’est le droit de porter un sac Vuitton avec des fripes. Cependant, l’intéressante position de Jalouse tient tout de même au fait qu’on n’y évoque jamais les hommes comme des proies ou des référents esthétiques (si je mets ça, est-ce que je vais lui plaire?) Les lectrices de Jalouse aiment s’habiller pour elles et ont une idée de leurs corps qui n’est pas (trop) dictée par les codes masculins qui font rage dans d’autres féminins. La lectrice de Jalouse, par exemple, ne compte pas les calories et préfère picoler du whisky. Perso, je trouve ça sympathique.

ESTHETIQUE

No logo : dans son édition Actes Sud, qui est assez agréable, on sent cependant que les photos qui illustrent le livre mériteraient d’être découvertes en format album. Et puis, la photo du fils de l’écrivain avec un T-Shirt No logo, bof. Pour un peu, on l’imaginerait facilement sur les packs de lait ricains où l’on annonce les enfants disparus.

Jalouse : papier glacé rock n’roll chic. Graphisme élégant. Allez, j’avoue : c’est surtout pour ça que je l’achète.

REVENDICATIONS

No logo : penser global, agir local. Prendre les armes culturelles et démocratiques avec sa collectivité, avec son groupe d’artistes, avec ses voisins, avec son école, etc. Ne rien se laisser imposer, surtout pas l’uniformisation de la culture, surtout pas les heures sups non payées et obligatoires, surtout pas le travail impitoyable des enfants, surtout pas le diktat des marques. Surtout pas ça!

Jalouse : combattre la crise par des fêtes friquées, branchées, auxquelles personne n’a accès. La “recette contre la déprime” de Daisy Lowe (une minette dite “it-girl”, mannequin qui brasse le fric par boisseaux), c’est ce genre de fêtes londoniennes, où un cocktail coûte un mois de salaire d’un enfant malaysien dans une usine Nike. Il y a tout de même Daphné Hézard, une journaliste du magazine, qui lance une émission sur France 4, “Global résistance”, sur les militants nouvelle génération. Ca rassure un peu.

IMPACT DE LECTURE

No logo : la colère monte, la conscience sociale se forme, les envies de prendre le pouvoir par l’esprit critique et le développement personnel se précisent. Et en plus, on a envie d’en lire encore et encore, parce que c’est passionnant.

Jalouse : on se sent mal habillée, mal coiffée, et mal-aimée. Pourquoi personne ne m’invite à ces fêtes clinquantes et branchées du Tout-Miami?

CONCLUSION

C’est triste à dire, mais un magazine comme Jalouse, qui a tout le potentiel pour être un féminin vraiment différent, est pourtant l’expression de tout ce que décrie Naomi Klein. L’aculturation, par le lavage de cerveau organisé par les marques. Achetez de l’image plutôt qu’un objet, l’idée que vous êtes branchée, sexy et moderne plutôt que d’acheter un beau pull qui vous plaît juste parce qu’il vous plaît, et qu’en plus, il n’a pas été tricoté par de petites mains anonymes qui gagnent 2 dollars par jours.

C’était la dernière fois que j’achetais Jalouse. J’attendrais que ce canard fort séduisant prenne la peine de se refaire un minimum de conscience politique. On ne peut pas vanter l’émission de Daphné Hézard sur les altermondialistes, et se considérer en même temps comme un guide de consommation indécent, qui étale dans ses pages de mode des chaussures Nike à 200 euros , fabriquées dans des conditions violant les droits de l’homme. Et il est en notre pouvoir, nous, pauvres petits lecteurs de rien du tout, de refuser d’acheter ce paradoxe qui insulte nos convictions profondes.