Antoine Emaz, Cambouis

Publié le 28 février 2009 par Lironjeremy

Il y a des livres qu’on lit très simplement, comme on lit en soi-même. Des livres qui déplacent peu et font plutôt l’effet d’une pression à un endroit donné, presque l’occupation, l’entretient, l’exploration répétée et inépuisable d’un territoire. Ces livres semblent construits comme se construit le terrier de Kafka par une furieuse non-immobilité de la pensée, son agitation forcenée sous la pesée du réel. « l’incapacité de rester en repos dans une chambre » disait Pascal. Leurs enjeux semblent être de démêler ce qui se donne de façon saturée, confuse, de faire du blanc autour de quelques réalités franches, aussi simples soient-elles qu’un éclat lumineux sur le carrelage frais.

Le dernier livre d’Emaz, paru au Seuil, rassemble ces notes de carnet par lesquelles l’auteur pense de jour en jour le monde, défriche, prend recul sur sa propre activité de poète. Sur plus de 200 pages on constate les marges de l’œuvre, les appuis, ce qu’il aura fallu mettre en œuvre, les mouvements difficiles qu’il a fallu ou qui se sont imposés par l’exigence pour parvenir à isoler, à dire deux ou trois choses, un peu comme Cézanne parvenant en une vie à dire quelques pommes. Et de quel cambouis on se lave pour donner quelques vers simples, laborieusement dégagés du monde pour nous le donner à voir, à sentir etc. Ecrire n’est pas tant ajouter des mots sur la page qu’enlever ceux en surnombre déjà là pour en distinguer quelques uns du tumulte.

S'EN SORTIR


marcher/ dans les ronces hautes/ s'arracher/ à une mémoire sans maître/ montée du sol/ on avance/ les pas/ dans un réseau de nerfs/ comme si/ en se cassant/ on arrachait de là/ des bouts de soi/ on se débat/ on va plus vite on veut/ passer avant d'être pris/ bloqué/ par les toiles d'araignée/ d'une tête/