Van Dyck, peintre gentilhomme

Publié le 24 janvier 2009 par Gabrielsiven
Jusqu’au 25 Janvier 2009 au musée Jacquemart-André
Une fois de plus, cette expo du musée Jacquemart-André offre le double avantage de présenter de très belles œuvres dans un lieu somptueux, l’hôtel particulier du couple de collectionneurs, émaillé de chefs-d’œuvre : une fresque de Tiepolo dans l’escalier, à côté de la chaise longue Louis XV un paysage de Francesco Guardi * et là, au mur, la version de 1628 de La Cène à Emmaüs de Rembrandt –un de ses plus beaux tableaux, à
aller voir absolument !!
Autoportrait, Munich, Alte Pinakothek (oeuvre non présente à l'expo)

Les œuvres sont accrochées de manière chronologique, ce qui rend très sensible l’évolution de Van Dyck, des années 1617-21 quand il devient le disciple préféré de Rubens, aux années 1635-41 où tout le gotha anglais se l’arrache.
Il atteint le sommet de son art dans les années 1627-1637, une fois assimilée et interprétée la leçon de Rubens, Titien et Véronèse. Van Dyck excelle alors dans l’art de souligner la noblesse de son modèle - où de la lui conférer. Il développe une approche personnelle de ce type de portrait, qui allie magnificence et dépouillement. La tension psychologique des débuts tend à être remplacée par une spezzatura (i.e. aisance très travaillée) que Baldassare Castiglione** n’aurait pas désavouée.
première page du Livre du Courtisan de Castiglione, dans sa traduction française de 1538, copyright Centres d'Etudes supérieures de la Renaissance, Tours
Pour preuve, les portraits de Maria de Tassis et Peeter Stevens. La figure se détache sur un fond uniforme qui souligne par contraste le luxe de la mise. Van Dyck y exalte l’accord des couleurs et des matières. Dans le Portrait de Maria de Tassis la composition autour d’une diagonale ascendante instaure un balancement entre l’évanescence mousseuse de l’éventail de plumes et la rigidité cristalline de la collerette de dentelle. Dans celui de Peeter Stevens, la diagonale conduit l’œil des armoiries peintes dans le coin supérieur gauche, au gant brun du modèle en bas à droite, liant Peeter Stevens à son hérédité prestigieuse. Dans les deux cas, le modèle semble passer tout près du spectateur mais reste inatteignable en raison d’une contre-plongée qui l’approche du bord du tableau tout en le monumentalisant.
Portrait de Maria de Tassis, 1630, copyright Vienne, Liechtenstein Museum
Dans le portrait du jeune Filippo Francesco d’Este, Van Dyck semble s’amuser de la gravité de circonstance du prince. La composition, encadrée par une colonne habillée d’un drapé et un paysage idéalisé, doit beaucoup à Véronèse. Mais Van Dyck ne fait pas un « portrait à la manière de », il montre, au-delà de l’effigie idéale du jeune seigneur, un gamin qui hésite entre la nonchalance et l’assurance que son rang lui procure, et l’ennui de devoir poser, quand il pourrait faire autre chose, comme jouer avec son chien … Van Dyck prend ainsi quelque distance avec l’incontournable sprezzatura, cette apparente décontraction qui nécessite des années de travail avant de paraître parfaitement naturelle.
Portrait de Filippo Francesco d'Este, 1634-35, copyright Vienne, Kunsthistorisches Museum
Parmi la foule des puissants et de ceux qui aspirent à l’être (bourgeois d’Anvers, patriciens génois, nobles de toute ascendance) il en est un dont le nom demeure associé à celui de Van Dyck : Charles Ier d’Angleterre, monarque mécène et absolutiste, dont les collections viendront pour partie enrichir*** celles du Louvre après son exécution****.
Portrait de Charles Ier en habit de l'ordre de la Jarretière, 1637, Dresde, Gemäldegalerie, copyright H.-P. Klut
Comme Titien le fit pour Charles Quint, Vélasquez pour Philippe IV d’Espagne et David pour Bonaparte-Napoléon, Van Dyck définit l’image royale de Charles Ier. Avec une différence cependant : plus que l’affirmation ou l’exaltation du pouvoir, les portraits de Van Dyck laissent transparaître la singularité du modèle royal. Dans son Portrait de Charles Ie en habit de l’ordre de la Jarretière, l’accent est porté sur l’air pensif du roi davantage que sur l’insigne, à demi dissimulé par la manche du souverain. Aucune débauche de magnificence : la somptueuse draperie cramoisie brodée d’or occupe un quart de la toile, pas plus. Même économie de moyens dans le dessin à la pierre noire du Rijksmuseum (Amsterdam), où Van Dyck atteint la vraisemblance en quelques traits. Quelques arabesques pour les mèches de cheveux que le vent agite, un trait un peu plus appuyé pour dégager le visage et ça y est, le monarque est là.
Portrait de Charles Ier, roi d'Angleterre à la chasse, 1635-38, Paris, Musée du Louvre (oeuvre non présente à l'expo)

Dès son arrivée à la cour d’Angleterre en 1632, Van Dyck est anobli par le roi, qui en fait son premier peintre. Il lui octroie 200 livres de rente, le loge dans une demeure luxueuse à Blackfriars près de Londres, où il vient lui rendre visite. Le peintre gentilhomme y organise des soupers avec les nobles de la cour. Van Dyck peindra 23 portraits de Charles Ier, presque autant de la reine. Comment ne pas penser qu’une certaine intimité s’est installée entre ce roi amateur d’art et son peintre préféré, d’un an son aîné, suffisamment talentueux pour qu’il le fasse chevalier ? Témoin de l’estime que lui portait le roi, Van Dyck sera enterré dans le chœur de la cathédrale Saint-Paul, où un monument lui sera dédié.
Les princes palatins Charles Louis Ier, électeur, et son frère Robert, 1637, Paris, Musée du Louvre

Même s’il meurt trop tôt pour recevoir la grande commande décorative qui manquait selon lui à sa carrière, Van Dyck atteint donc dès le début des années 1630 l’idéal du peintre gentilhomme qu’il s’était fixé comme modèle (Titien et Rubens constituaient là encore des précédents, sans parler de Raphaël et Léonard avant eux).
Son Autoportrait de Saint-Pétersbourg (1622-23) donne déjà l’image d’un jeune homme conscient de son talent, un rien arrogant. Ni chevalet ni pinceaux, mais un magnifique habit de soie noire jeté sur une éclatante chemise blanche. Van Dyck se peint, comme Rubens avant lui, à l’égal de ses riches modèles. C’est à peine si la longue main fine qu’il expose et le regard scrutateur qu’il porte sur le spectateur indiquent qu’il est peintre.
Autoportrait 1622 ou 1623, St-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage, copyright V. Terebenin

C’est encore cette dignité de l’artiste qu’il proclame dans son Iconograhie, série de portraits gravés d’hommes illustres, qui inclut des peintres, des sculpteurs et des graveurs, dans la lignée des Vies d’artistes de Vasari (1550 et 1568) et du Livre des peintres de Carel Van Mander (1608).
Plus d’infos : http://www.culturespaces-minisite.com/vandyck/
*Moins connu que son compatriote Canaletto, Guardi se spécialise lui aussi dans les vedute de Venise, qu’il peint avec une touche clignotante très vivante, subtilement mêlée de noir.
**Auteur du Libro del Cortegiano (1528), livre extrêmement lu dans toute l’Europe au XVIe et XVIIe siècle qui, à travers les discussions des courtisans à la cour d’Urbino, décrit la façon idéale de se comporter en bonne société. Raphaël nous a laissé de l’auteur un magnifique portrait aujourd’hui au Louvre.
**Le banquier amateur d’art Everhard Jabach achètera une partie de ces collections en vente publique puis cèdera un certain nombre d’œuvres à Louis XIV, où elles viendront grossir le noyau du futur musée du Louvre. Voilà comment le fameux Portrait de Charles Ier, roi d’Angleterre à la chasse (1635-38) s’est retrouvé au Louvre, sans guerre ni rapine.
***Charles Ier connaitra le même sort que sa grand-mère Marie Stuart, reine d’Ecosse. Il sera décapité en 1649 sur ordre du Parlement, qui lui reproche sa mauvaise gestion des affaires du royaume, notamment des questions religieuses.