Un oiseau blanc dans le blizzard...

Par Sylvie

de Laura KASISCHKE
ETATS-UNIS

Editions Christian Bourgois, 2000

Il y a encore quelques semaines, je ne connaissais pas Laura Kasischke, surtout connue aux Etats-Unis pour sa poésie. En Europe, ce sont ses romans qui sont publiés. C'est en lisant un article la comparant à Joyce Carol Oates que j'ai été tentée de la découvrir.
Tout comme Carver et John Cheever, ses personnages sont issus de la middle class américaine, de cette banlieue pavillonnaire bien propre au dehors mais qui au dedans masque un tas de frustrations  ; Kasischke démasque toute l'hypocrisie d'un cadre de vie aseptisé.
L'histoire nous est racontée sur plusieurs années par une adolescente dont la mère vient de disparaître ; femme au foyer, elle en eut un jour assez de cette vie maussade, sans crier gare, elle s'est volatilisée.
Kat, la jeune adolescente nous raconte son quotidien de jeune fille qui découvre ses premiers émois amoureux, tout en essayant de comprendre pourquoi sa mère a disparu.
Mais le but du récit n'est pas de faire une enquête policière sur une disparition inexpliquée. Certes, il y a un inspecteur, mais l'objectif est avant tout pour la jeune fille de comprendre sa mère, de découvrir sa véritable personnalité, sa vie de couple avec son père : cette mère au foyer refusant tout exotisme et qui pourtant reprochait à son mari d'être trop simple.
Tout en vivant sa vie d'adolescente, Kat se remémore des épisodes passés avec sa mère comme par exemple la jalousie qu'elle a éprouvé lorsqu'elle est sortie avec un garçon. Le prétexte du récit est d'ordre psychologique : Kasischke le portrait brillant  d'une femme frustrée qui se tait jusqu'au jour où...
Précisons que le récit est conduit d'une main de maître jusqu'à la surprise finale trois ans après. Pour parler de Joyce Carol Oates, ce roman m'a justement fait penser à Zarbie et les yeux verts : le même cadre idyllique, la même disparition de la mère, l'histoire racontée par une adolescente ; mais Oates livrait d'abord un thriller psychologique ; ici, nous sommes d'avantage dans un récit d'apprentissage doublé d'une "enquête psychologique".
L'auteur évite tout misérabilisme ; l'adolescente établit un constat plutôt qu'elle ne s'apitoie sur son sort ; elle privilégie l'analyse froide, la distanciation ; on devine d'ailleurs à certains moments une certaine rivalité entre les deux femmes.
Des portraits tout en nuance (le père, l'inspecteur, le petit ami), le tout rapporté dans une écriture à la fois très poétique et très prosaïque. Si elle choisit une dominante thématique de la neige, de la glace  ou de la brume, enveloppant son histoire de mystère, rien n'empêche l'auteur de faire des métaphores ou comparaisons très inhabituelles comme par exemple des traces comme des dents déchaussées ou une sauce de plusieurs jours....
Un récit taillé au cordeau qui reste dans les esprits...
Une première page envoûtante :
" J'ai seize ans lorsque ma mère se glisse hors de la peau par un après-midi glacé de janvier -elle devient un être pur et désincarné , entouré d'atomes brillants comme de microscopiques éclats de diamant, accompagné, peut-être, par le tintement d'une cloche , ou par quelques notes claires de flûte dans le lointain- et disparaît.
La veille, au matin, ma mère était encore une femme au foyer-qui, depuis vingt ans, maintenait notre maison dans un état de propreté et de stérilité qui aurait pu rivaliser avec l'esprit de l'hiver lui-même. alors, peut-être a-t-elle tout simplement fini par s'épousseter elle-même, en un nuage lumineux qui s'est envolé par la fenêtre de la chambre, un nuage fait d'une poudre douce comme le talc , qui s'est mélangé avec les flocons qui tombaient, avec la poussière céleste et les cendres lunaires qui flottaient au loin"